Au mois de juillet 1662, les Êchevins et Députés du commerce de Marseille, ayant adressé à Louis XIV une supplique pour lui demander l’extermination des corsaires barbaresques, qui leur causaient les plus grands dommages (1), Sa Majesté donna l’ordre de tenir à la mer, tous les étés, dans l’Océan el la Méditerranée, 12 galères et 20 vaisseaux, destinés à escorter les bâtiments français trafiquant avec le Levant (2); les capitaines reçurent les instructions les plus énergiques pour courir sus aux corsaires et les combattre à outrance (1).
(1) CLÉMENT. Correspondance administrative sous.Louis XIV, I, 659. (2) COLBERT à L’évêque de Luçon (Nicolas Colbert), 16 octobre 1662. « Le Roy voulant rétablir par toutes sortes de moyens le commerce et particulièrement celui de mer, qui est le plus important, |
Le chevalier Paul (2), d’Hocquincourt, de Touryille, de Beaufort,illustraient, à cette époque, le pavillon français. Ils se signalèrent par de nombreux faits d’armes contre les Barbaresques.
Le 10 septembre 1663, le duc de Beaufort, chef et surintendant de la navigation et commerce de France, sorti de Toulon à la poursuite des corsaires algériens, qui infestaient les côles d’Italie et de Provence, prit ou coula à fond plusieurs bâtiments barbaresques, et fit un certain
(1)– Le chevalier Paul à Colbert. Toulon, 16 décembre 1662. « J’ai déjà dit par avance, à tous messieurs les capitaines qui sont ici, que Sa Majesté m’avait fait l’honneur de m’ordonner de leur dire de sa part que lorsqu’ils rencontreraient des navires turcs, qu’ils eussent de les aborder hardiment et de les vaincre ou mourir, et que, s’ils manquaient de faire leur devoir pour la gloire des armes du Roy, que Sa Majesté leur ferait couper le cou. J’ai ajouté à cela que, si par hasard il se trouvait quelques-uns les navires seul et qu’il fut attaqué de cinq ou six navires turcs, ne pouvant éviter à force de voiles ou autrement leur abordage, de se défendre jusqu’à l’extrémité, et lorsqu’ils se verraient perdus sans aucune ressource, qu’il ne faut jamais demander de quartier, mais qu’il faut mettre le feu aux poudres pour brûler le navire du Roy avec tous les navires turcs qui seraient accrochés avec lui, et que Sa Majesté aime bien mieux que son navire soit brûlé que s’il était entre les mains de ses ennemis. » — Journal L’autographe, n° 35, 1er mai 1865. (2)– Le chevalier Paul naquit au mois de septembre 1597 d’une lavandière, dans un bateau de pécheur, pendant une traversée tempétueuse que sa mère faisait du château d’If à Marseille. La frayeur de l’ouragan provoqua l’accouchement avant terme, ce qui n’empêcha pas l’enfant de devenir un vaillant garçon. Mousse avant l’âge de dix ans, chef d’escadre en 1649, il s’illustra par de nombreux exploits ! contre les Barbaresques ; il fit sa dernière campagne en 1666, à l’âge de 75 ans, et mourut l’année suivante, à Toulon. |
nombre de prisonniers (1). L’audace des pirates était, du reste, sans bornes, el ils inspiraient une telle terreur, que l’on craignit un moment qu’ils n’opérassent un débarquement sur les côtes de Normandie ou de Picardie. Des bâtiments de guerre furent tenus quelque temps en station dans le port du Havre (2).
Louis XIV résolut de porter un grand coup à la piraterie barbaresque en s’emparant d’une position importante sur la côte d’Afrique. Ce projet, qui ne pouvait qu’ajouter au développement de la marine militaire (3), avait déjà élé mûri par Mazarin ; il voulait suivre, en cela, l’exemple du cardinal Ximénès s’emparant d’Oran, et le chevalier de Clairville, surintendant des fortifications, avait été chargé de reconnaître le littoral de l’Afrique septentrionale. D’après un mémoire publié à cette époque (4), le projet d’un grand établissement français en Barbarie était appuyé exactement
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(1) CLÉMENT. — Lettres de Colbert. I. cxxx. Les prisonniers faits dans cette rencontre servirent sans doute à un échange contre des Français esclaves à Alger. V. au trésor de Numismatique et de Glyptique une médaille de Louis XIV, avec ce revers :Captivis ex Africis certatis redempti (?) Louis XIV debout, revêtu des habits royaux, mais la tête nue, tend la main à des esclaves dont il vient de briser les fers. A l’exergue : MDCLXIII. (2) Corresp. administrative sous Louis XIV. III. 337. (3) Depuis Richelieu, la marine militaire française tendait à prendre ce brillant essor qui fut une des gloires du règne de Louis XIV. Le Cardinal-Ministre avait dit à Louis XIII, dans son -testament, en lui conseillant d’être fort sur mer : « Votre force navale ne tiendra pas l’Espagne en bride, mais elle fera que le Grand-Seigneur et ses sujets qui ne mesurent la puissance des rois éloignés que par celle qu’ils ont à la mer, seront plus soigneux qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent, d’entretenir le traité fait avec eux. Alger, Tunis, et tous ceux de la côte de Barbarie respecteront et craindront notre puissance, au lieu que jusqu’à présent, ils l’avaient méprisée avec une incroyable fidélité. (Correspondance du Cardinal de Sourdis. i. vu. (4) RECUEIL HISTORIQUE, — contenant diverses pièces curieuses de ce temps. 1 vol. in-16, Cologne. 1666. Fort rare. |
des mêmes raisons mises en avant de nos jours, y compris l’avantage d’occuper les esprits inquiets, dangereux à l’intérieur. 11 fut successivement question de Stora, Bougie et Bône. Enfin, on se décida pour Djidgeli, où les officiers de marine les plus distingués, entre autres Duquesne, pensaient qu’on pourrait, à peu de frais, établir un excellent port (1) pour les bâtiments chargés de surveiller les corsaires et de leur faire une chasse continuelle (2).
Le duc de Beauforl eut le commandement général de l’expédition. L’armée de terre se composa de six compagnies des gardes et de vingt compagnies de chacun des régiments de Picardie, Navarre, Normandie et Royal, présentant un effectif de quatre mille six cent cinquante hommes. Il y avait, en outre, vingt compagnies de vaisseaux, faisant huit cents hommes, un bataillon de Malle avec cent vingt chevaliers, un bataillon anglais et un bataillon hollandais, plus quelques centaines de volontaires.
Le comte de_Cadagne, lieutenant-général, eut le commandent des troupes de débarqueent
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(1) PELISSON. — Histoire du règne de Louis XIV. (2) Le choix de Djidgeli fut une grande faute ; le but de l’entreprise était de s’emparer d’un point utile, et Bougie était préférable au triple point de vue maritime, commercial et militaire. Bougie a été, à toutes les époques, l’une des principales cités maritimes de l’Algérie. Les Romains y fondèrent une grande ville ; les Berbères y placèrent le siège de leur empire ; les Espagnols qui, au XVIe siècle, préludaientà leur grandeur maritime par leurs conquêtes dans le Nord de l’Afrique, s’y établirent beaucoup plus fortement qu’à Alger. L’emplacement de Bougie a, eu effet, une très-grande valeur sous le rapport maritime, il offre un grand port de refuge, admirablement disposé pour être amélioré par l’art. Il surveille, les passages entre les Baléares, la Sardaigne, la Sicile et l’Afrique ; il se trouve plus rapproché qu’Alger et Mers-el-Kebir de Toulon et de la Corse. Bougie était, sous les Turcs, le point d’hivernage de la flotte algérienne. Sous le rapport commercial, il est placé au coeur de la grande Kabylie, au débouché à la mer des vastes et riches bassins d’Aumale et de Sétif, sur la grande voie naturelle entre l’Europe et l’intérieur de l’Afrique. Sous le rapport militaire, il offre tous les éléments naturels d’une place imprenable et d’un port de guerre de premier ordre. —Études sur les ports de l’Algérie, par A, Lieussou. |
On lui donna pour maréchaux-de-camp MM. de la Guillotière et de Vivonne. De Betancourt eut le commandement de l’artillerie,, et le chevalier de Clairville celui du génie. La flotte, commandée par le commandeur Paul, se composait de 15 vaisseaux où frégates, 19 galères, dont 7 de Malle, et quelques autres moindres bâtiments, en tout soixante-trois voiles.
L’expédition partit de Toulon le 2 juillet 1664. Après une relâche de quelques jours aux îles Baléares, où les galères de Malle rallièrent, elle reprit la mer et se dirigea vers la côte d’Afrique.
Le 21 juillet, la flotte expéditionnaire mouillait dans l’a rade de Bougie. « On vint mouiller vis-à-vis de la ville, à quelque chose de moins qu’une portée de canon. Le comte de Cadagne, après l’avoir considérée assez longtemps, dit qu’absolument il fallait descendre là, par trois raisons : la première, qu’elle paraissait abandonnée, et que l’on voyait nombre de gens charger des hardes sur leurs chevaux pour s’enfuir ; la seconde, qu’elle semblait bien fortifiée et facile à être mise hors d’insulte avec quelques réparations; la troisième, enfin, que ce serait une conquête très-glorieuse pour le service du Roi. »
Le chevalier de Clairville s’y opposa directement, se fondant sur les ordres précis que le commandant en chef avait reçus de ne rien changer au plan arrêté, et sur ce que la même proposition de prendre Bougie avait été rejetée par le Conseil royal. Le duc de Beaufort resta un moment indécis, mais, craignant d’encourir un blâme, il se rangea enfin à l’avis du chevalier de Clairville, et refusa de consentir à l’attaque. Ll en éprouva plus tard un bien vif regret, en apprenant que la garnison turque avait été détruite par la peste, et qu’il serait entré dans la ville sans coup férir.
La flotte expéditionnaire arriva devant Djidjeli le 22 à sept heures du soir. Elle fut accueillie par quelques coups de canon, et aussitôt le duc de Beaufort, faisant arborer le pavillon rouge, donna l’ordre de tirer sur la ville un coup de canon à boulet..Le lendemain, le débarquement s’opéra à côté d’un Marabout où est aujourd’hui le fort Duquesne. Le bataillon des gardes, celui de Malte