Mosaïque romaine d’El-Akbia
Rapport de M. l’Administrateur de la Commune mixte d’El-Milia à Monsieur le Préfet du
département de Constantine – 1896.
J’ai l’honneur de vous rendre compte de la découverte d’une jolie mosaïque à El-Akbia. Cette découverte a eu lieu dans les conditions suivantes :
Il y a quelque temps, les indigènes de ce douar remarquèrent que les fortes pluies survenues au commencement de l’été avaient mis à nu un fragment de carrelage dans le sentier qui conduit de l’Aïn-el-Akbia à la mechta Hamdidje en traversant les jardins. (Voir sur le croquis les lettres a, a, a). Ils déblayèrent sommairement le terrain et découvrirent la petite mosaïque A qui est d’un travail assez grossier et ne figure aucun sujet.
Je dois dire de suite que, contrairement à l’affirmation surprenante qu’on trouve dans les procèsverbaux du sénatus-consulte, le territoire du douar El-Akbia est littéralement couvert de vestiges de l’occupation romaine, pierres éparses ou débris de murs.
Quelque temps après, le docteur Bonnafé, médecin de colonisation d’El-Milia, se trouvant en transport judiciaire dans ce pays, en entendit cependant parler.
— Il m’en entretint à son retour et manifesta le désir de poursuivre les recherches. J’invitai l’adjoint indigène à se tenir à sa disposition. M. Bonnafé retourna à El-Akbia le 6 août (1896), et après des fouilles patientes et intelligentes, il mit à nu la partie de la mosaïque figurée sur le croquis par les lettres b’ b’ b’ b‘.
La portion déblayée comportait deux bandes de fine mosaïque servant d’encadrement et la plus grande partie des panneaux 1, 2 et 5 du croquis. Obligé de rentrer à El-Milia, M. Bonnafé fît recouvrir de terre la bande de mosaïque et le soir même il me donna connaissance du résultat de ses recherches.
On était évidemment en présence d’un reste d’antiquité précieux. Je chargeai le cheikh de veiller à ce qu’aucune dégradation ne fût commise, et le 20 août, les obligations du service me laissant quelque liberté, je me rendis à El-Akbia avec des ouvriers terrassiers. M. Bonnafé me rejoignit le lendemain.
Dès mon arrivée, je fis continuer les fouilles depuis la ligne pointillée b’ b’ jusqu’à la ligne 0. La mosaïque nous apparut alors entière, avec ses neufs panneaux, ses deux bordures, plus un dessin um belliforme dans l’espace demi-circulaire E. Ce dessin pourrait bien représenter une vasque.
Les recherches dans les environs amenèrent la découverte d’une auge qui se trouvait à fleur de terre au point L, près de la ligne de pierres de taille M affleurant également le sol et qui, à n’en pas douter, appartiennent à la construction dont faisait partie la mosaïque. — Le gourbi N a été élevé depuis deux ans par un indigène du pays. Il est entré dans sa construction un certain nombre de pierres taillées trouvées sur place.
Nous trouvâmes également, caché sous la végétation très puissante du jardin, le mur demi-circulaire J qui se trouve exactement en face du premier, mais qui est en contre-bas de la mosaïque. — Peut-être la partie conservée jusqu’à présent ne formait-elle que la fondation. Quoiqu’il en soit, en poussant la fouille à environ un mètre de profondeur, nous trouvâmes une sorte de béton peu résistant, où quelques briques carrées ou triangulaires se trouvent incrustées, plus les deux pierres scellées K. — Nulle trace de mosaïque. — Dans les déblais, un petit pot en terre avec anse et deux petites poteries ayant la forme d’une tubulure fermée en haut avec renflement
à la base.
Un coup de pioche perforant ce béton amena de l’eau à la surface. — L’outil s’enfonçait facilement.— Y a-t-il là une poche naturelle, une mare souterraine formée par le ruisseau, ou bien une citerne, un réservoir quelconque ? — J’ai préféré laisser les choses en l’état pour ne rien compromettre par des fouilles inexpérimentées.
Je pris ensuite un cliché photographique de la mosaïque et j’ai l’honneur d’en placer deux épreuves sous vos yeux. — Le temps était malheureusement brumeux et les épreuves sont un peu grises ; d’un autre côté, le manque de reculement m’a empêché de faire entrer toute la mosaïque dans la plaque, bien que j’aie employé un objectif grand angle 18 x 24. J’ai dû la prendre de biais en installant mon appareil sur un monticule formé par les déblais. — Il eût fallu élever un échafaudage pour la viser perpendiculairement au plan et éviter ainsi l’aberration de sphéricité.
Quoiqu’il en soit, l’épreuve, malgré son imperfection, donne une idée de la valeur artistique de cette œuvre. — La mosaïque, constituée en petits cubes de marbre très fin et de couleurs différentes, produit à à l’œil une saisissante impression.
Les panneaux 1, 2, 3, 4 du croquis représentent des vases de fleurs (le panneau 4 est fortement dégradé).
Le panneau 5 : un poisson, un ibis tenant un poisson dans son bec, un oiseau.
Le panneau 6 : deux poissons, un oiseau, un serpent.
Le panneau 7, qui est le panneau central : quatre dessins umbelliformes, une coupe, trois fleurs, deux petits cœurs ; au milieu, deux ovales (?) entrelacés.
Le panneau 8 : un globe, serpents entrelacés, un oiseau.
Le panneau 9 est dans un tel état de mutilation, qu’il est difficile d’en déterminer le sujet.
Les deux bordures sont en assez bon état de conservation. — La partie I comprise entre G et D, ligne de la limite des fouilles, est recouverte d’une mosaïque plus grossière. — Les cubes sont plus gros et en pierre jaune et noire.
Le béton sur lequel reposent les cubes n’offre pas une grande résistance; il a été fortement attaqué par l’humidité. La mosaïque est appelée certainement à disparaître si on ne l’enlève pas ou si on ne l’entoure pas d’une forte clôture. Il faudra aussi dévier le sentier et le ruisseau qui la bordent. — En attendant, je l’ai fait recouvrir de 15 centimètres de terre et entourer d’une haie. — J’ai pris sur moi de charger le propriétaire de l’habitation voisine de la garder, moyennant une légère rétribution.
Les différentes mesures ont été prises par M. le docteur Bonnafé qui a établi son croquis à l’échelle de deux centimètres par mètre.
Je suis très heureux, Monsieur le Préfet, de vous signaler cette découverte, et je rends hommage au zèle éclairé de M. le docteur Bonnafé qui a fait exécuter les premières recherches. De nouvelles fouilles amèneront peut-être la découverte d’œuvres d’art d’un autre genre et peut-être aussi d’inscriptions permettant de reconstituer le passé, à peu près inconnu jusqu’ici, de la région comprise entre l’Ampsaga, la mer et Chullu.
Les données acquises à ce sujet sont encore fort incertaines. Tout démontre cependant que des établissements romains importants existaient dans ce pays. — J’ai déjà relevé des vestiges de l’occupation dans treize douars de la commune sur vingt-deux.
Beaucoup consistent en pierres éparses, mais on y voit aussi des débris d’habitations, des restes d’enceintes fortifiées, telles, par exemple, les ruines de M’dina, à Tanefdour, près d’El-Milia, ou celles de M’dina-Chouf, dans le douar Oued-Adder. — Une statue en bronze aurait été trouvée aux Beni-Tlilen, du temps de l’Autorité militaire. — Je ne sais ce qu’elle est devenue (1).
Malheureusement, les inscriptions sont rares et on n’en a encore découvert aucune permettant de connaître le nom et de fixer la position des centres ou des groupes de centres installés autrefois sur le territoire.
La Table de Peutinger et l’Itinéraire d’Antonin mentionnent l’existence du centre de Paccianis Matidiae entre Djidjelli et Collo. — D’un autre côté, Pline place un autre Oppidum, Tucca, au bord de la mer et sur la rive de l’Ampsaga. — M. Féraud a cru trouver les ruines de Tucca sur la rive gauche de l’Oued-el-Kebir, dans le douar El-Djenah, de la commune mixte de Taher, mais le docteur Reboud leur attribue, comme emplacement, le lieu dit Henchir-el-Abiod, dans la vallée de l’Oued-el-Kebir (2), à hauteur de M’zalmet, dans les Beni-Haroun.
Rien, je crois, n’a été dit de précis, jusqu’à ce jour, en ce qui concerne Paccianis Matidiae, domaine concédé à Matidia, nièce de l’empereur Trajan. — Cette occupation, comme celle de Tucca, devrait se trouver au bord de la mer ; or, elle a été vainement recherchée de l’Oued-el-Kebir au cap Bougarone.
L’opinion du docteur Reboud, en ce qui concerne la situation de Tucca, serait elle fondée? Dans ce cas, on pourrait rechercher Paccianis Matidiae assez avant dans les terres. — Si les vallées de l’Oued-el-Kebir et de l’Oued-Z’hour sont assez belles pour qu’on les ait constituées l’une ou l’autre en apanage à un personnage marquant de l’époque romaine, on peut dire aussi que toute la région formée par les douars El-Akbia, Boucherf et Ouled-Embarek a dû
jouir de tout temps d’une incomparable fertilité.
(1) Les fragments retrouvés de cette statue ont été adressés à la Société par M. le Chef de l’Annexe d’El-Milia et sont actuellement déposés au Musée de la Ville; on ignorait le lieu où ils ont été trouvés (N. cl. C).
(2) Ou plutôt son affluent l’Oued-Endja (N. cl. C).
Aïn-Sultan est un grenier à blé, El-Akbia est un immense jardin. — On y voit des orangers qui produisent plus de 2,000 oranges par an. Partout, l’olivier prospère admirablement et donne d’abondantes récoltes. — J’ajoute que c’est dans cette région qu’on trouve le groupement le plus dense des vestiges de l’occupation romaine.
Le manque de connaissances spéciales ne me permet pas de m’aventurer plus loin dans cette hypothèse. Je me hasarde à la mettre en avant, dans la pensée qu’elle peut ouvrir un nouveau champ aux investigations de la savante Société d’archéologie de Constantine.
Je vous serais très reconnaissant, Monsieur le Préfet, de vouloir bien lui faire part de ces renseignements et d’obtenir qu’il me soit communiqué quelques ouvrages de nature à nous guider dans de nouvelles recherches. — La bibliothèque de la commune mixte en est dépourvue. — Nous nous tenons entièrement à votre disposition et à celle de la Société, M. le docteur Bonnafé et moi, pour recueillir au cours des nombreuses tournées que nous impose le service toutes les indications susceptibles d’intéresser le monde savant.
L’Administrateur
Charles MÉNÉTRET.
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Source : Recueil des notices et mémoires de la société archéologique de Constantine, 1896, P.218/
La mosaïque d’El Akbia retrouvée à El Milia Par Karim Hadji, chercheur indépendant, Jijel 22 Octobre 2012 Les recherches que Pierre Morizot et moi-même avons menées séparément1 sur les vestiges archéologiques de la basse vallée de l’Amsaga, c’est-à-dire entre le Hammam des Beni Haroun et la mer, m’ont conduit à revoir le compte rendu de la découverte d’une mosaïque faite en 1895 par Charles Ménétret, administrateur de la commune d’El-Milia et publiée dans le Recueil de Constantine de l’année suivante2. Dans ce compte rendu, Charles Ménétret signalait qu’au début de l’été 1895, après de fortes pluies, l’on avait découvert à El Akbia, douar situé à 18 km au sud d’El Milia, « un fragment de carrelage dans le sentier qui conduit de l’Aïn El-Akbia à la mechta Amidj en traversant les jardins »3. Après quelques déblaiements, une première mosaïque, marquée par un « A » sur le plan qu’il a dressé du site, « assez grossière » et non figurative, fut découverte. Au début du mois d’août 1896, le Dr Bonafé, médecin à El-Milia, entreprit une fouille qui dégagea une partie d’une autre mosaïque (les carrés 1, 2, 5 sur le plan de Ménétret), avec un encadrement composé de « deux bandes fines de mosaïque » , l’ensemble étant orienté à l’Est. Le 21 août, le Dr Bonafé et Ch. Ménétret s’associèrent pour dégager entièrement les neuf panneaux de cette mosaïque principale et en prirent une photographie. La grande mosquée d’El Milia
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