État des lieux des sites archéologiques et historiques : Une véritable tragédie
Aucun mot ne suffit pour décrire la situation dans laquelle se trouvent les sites archéologiques et historiques, entre autres romains, éparpillés dans les quatre coins de la wilaya de Jijel. A défaut de fouilles archéologiques et de prospection dans cette région millénaire, excepté celles faites lors de la domination coloniale française, les différentes ruines romaines répertoriées par ces derniers sont carrément en péril.
Ce voyage à travers le passé nous a donnés l’occasion de découvrir des images aussi flagrantes que navrantes de ce qu’ont fait des mains inhabiles durant des décennies entières jusqu’à ce jour à notre patrimoine archéologique. C’est une histoire mutilée à tout jamais. Tout ce que le génie de l’homme avait bâti durant de siècles a été anéanti par un processus politique et culturel défaillant.
Notre prospection effectuée durant cet été à travers certains sites archéologiques et historiques de la région qui normalement devaient être des repères identitaires pour la mémoire collective, nous a permis de découvrir le désordre et la crise culturelle que nous vivons à l’heure actuelle, synonyme d’un “protocole d’échecs” ressemblant ni plus ni moins à une tragédie archéologique. Afin d’illustrer cela en “nous tenons à la dimension symbolique des choses”, prenons le cas des vestiges romains de Ziama, 42 km à l’ouest de la ville de Jijel.
Durant le deux journées de prospection passées en compagnie de notre ami Karim Hadji, universitaire, passionné d’archéologie, d’histoire et de nature, dans ce qui reste encore de l’antique Choba Municipium, nous relevons qu’à première vue c’est un site perdu pour la simple raison qu’on n’a pas su le “valoriser alors qu’il était à un moment récupérable » en dépit des recommandations de certains spécialistes.
Pour preuve, le mur d’enceinte qui encadrait cette ville romaine sur une superficie d’environ 16 hectares est en perpétuelle dégradation et des pans entiers sont à jamais perdus. Le site de Choba a vu son évolution vers la déchéance se caractériser par deux mouvements ces dernières années : l’exode rural en plus de l’urbanisation massive et anarchique qui ont fait voler en éclats un patrimoine et un trésor inestimables de notre histoire.
Les soubassements du municipe de Choba, fondé aux environs du début du IIe siècle après J.- C. par l’empereur Hadrien, se trouvent recouverts des bâtisses tant publiques que privées qui ont été érigées sur le site même. Lors des travaux d’assainissement effectués en mai 2004 au niveau de la cité-dortoir Azirou, des bases de colonnes (encore debout juste après l’indépendance) et des chapiteaux corinthiens ont été retrouvés et détériorés par la suite.
Pour saisir l’ampleur de la gravité du désastre il n’y a qu’une chose à faire, un détour par Ziama pour s’apercevoir que des bases de colonnes annelées, un mas de pierres carrés bien taillées ne portant pas d’inscriptions particulières, son éparpillées çà et là, au niveau du bidonville d’Azirou ainsi qu’en bordure de la RN43, sans qu’aucune autorité à n’importe quelle échelle de responsabilité n’a fait l’effort de le récupérer et les conserver dans des lieux sûrs. Une manière de sauver les meubles et de remettre de l’ordre dans la cité en attendant, nous dit-on, la réalisation du projet d’un jardin épigraphique de 1,5 milliard de centimes qui tarde à voir le jour.
L’agression sauvage du site et la complicité des responsables locaux de la daïra de Ziama- Mansouriah, ajouté au silence de mort des autorités de la wilaya sont pour beaucoup dans la disparition d’objets archéologiques tels que des pièces de monnaie, objets culinaires, stèles, mosaïques, etc., où certaines ont été jetés à la mer, croit-on savoir. Sur la base de certaines informations récoltées auprès de particuliers, au risque de nous tromper et sans trop s’aventurer pour notre part, nos avons cru voir ce qui reste des vestiges du port antique de Choba, l’endroit par où les Romains exportait du bois et du blé provenant des Hauts-Plateaux. L’opération d’exploration du site du vieux port nous a permis de découvrir un tombeau renversé en plus d’un fragment d’épitaphe incomplète portant une inscription que notre compagnon de route Hadji n’a pu déchiffrer.
Après Choba l’estropié, notre seconde halte furent les ruines romaines de Beni F’teh, située dans la commune de Bouraoui Belhadef (environ 60 km au sud-est de Jijel) et sa légendaire Hadjrate Laâroussa, un imposant mégalithe visible sur des kilomètres à la ronde.
Le site paraît-il n’est pas assez important, néanmoins une sorte “bassina” taillée dans la roche , genre de bac servant sans doute pour la collecte des eaux de pluie est encore présente pour témoigner du savoir-faire de cette grande civilisation. En parcourant ce vaste champ aride, une pierre comportant un “dessin stylisé et géométrique” d’un poisson attira notre attention. En l’absence d’inscriptions et de toute autre indication, notre compagnon Karim, après exploration de l’endroit, n’était pas en mesure de déterminer l’importance stratégique que représentait pour les Romaines le site de Beni F’teh.
Au niveau des ruines romaines de T’ssilil (daïra de Settara) à l’extrême est de la wilaya de Jijel, constituant la troisième escale de notre tournée, nous sommes stupéfiés par ces pierres remuées, altérées par des mains loin d’être habiles pour on ne sait quel but. De l’avis de mon ami, ces pierres une fois déterrées “serviront vraisemblablement à la construction de ce qui est dommageable pour le site”, regrette-t-il.
De nombreuses pierres ont été ébranlées dans un but inavoué, comme on peut l’apercevoir sur cette jolie pierre orange altérée. Il semblerait, selon une personne croisée dans la région, qu’une pièce archéologique importante aurait pris récemment une autre destination (Mila). Un acte qui serait l’œuvre de marchands clandestins de pièces archéologiques.
Si cela s’avère juste, il serait donc déplorable de dénoncer le manque d’information et de publicité scientifique sur cette pierre gravée. En l’absence de fouilles de sauvetages cette cité romaine semble à nos yeux “assez importante”. Elle est entourée de plusieurs castellums (postes romain) de surveillance.
En parcourant les lieux nous avons recueillis trois inscriptions, et ce, grâce à l’appui d’un père de famille. La traduction des inscriptions portées sur les épitaphes faite par notre compagnon fait ressortir, selon ses dires, “la présence d’un cimetière dans les parages et l’existence d’une vie de famille”. Pour preuve, cette dédicace gravée sur l’une d’elle (épitaphe) à la mémoire de la défunte Fabia, ayant vécu 70 ans. La traduction d’une autre épitaphe donnera lieu à : Caius Julius Felix a vécu 81 ans.
A T’ssilil, un “délit archéologique” a été commis dans le sens où ces pierres ont été réutilisées pour la construction de maisons de fortune, comme nous avons pu le constater sur place.
La dernière étape de cette tournée nous amènera aux ruines romaines de Aïn Sefsaf, un fortin à environ 3 km à vol d’oiseau à l’est de T’ssilil dont on ne connaît ni l’importance ni la fonction. En somme, notre coéquipier qui, faut-il le souligner, n’était pas de tout de repos, et devant la gravité de certains faits remarqués, préconise “une surveillance plus accrue et régulière des sites en question et bien d’autres en réprimandant les pillards qui les dénaturent”. Pour éviter à l’avenir les déperditions et les fouilles clandestines, il est judicieux “d’entreposer les objets trouvés dans un local (musée, daïra, commune) et ce, après inventaire”.
Fouad Menia, Le Soir d’Algérie