L’expédition du général de Saint-Arnaud dans les Babors (1851)

Le général de Saint-Arnaud avait fixé la ville de Mila comme point de réunion du corps expéditionnaire; les troupes rassemblées à la revue qu’il passa le 8 mai 1851, sous les murs de cette place, dans une plaine baignée par le Oued-Rummel, offraient un effectif de plus de 9,000 hommes, compris les cavaliers indigènes envoyés par Bou-Akkas, Ben-Achour, Bou-Rennan et Mohamed-ben-Azzedin, puissants cheiks nos alliés.

Saint-Arnaud dans les Babors, Jijel ,جيجل, Djidjelli (1851) , Beni Amran, Beni Ider , Beni-Ahmed, Beni-FoughalElles entrèrent en campagne le 9, par un temps magnifique, et assirent le même jour leur camp sur les bords de l’Oued-Enja. Les contrées qu’elles eurent à franchir furent d’abord une succession de vallées, couvertes quelques-unes de belles cultures et de coteaux opposant trop souvent à leur marche l’obstacle de broussailles épaisses, hautes et parfois très-piquantes. La division atteignit le Fedj-Beïnen sans avoir brûlé une amorce; elle couronna cette hauteur des feux de son bivouac. La dernière partie de la marche avait rencontré, dans les mouvements très-énergiquement accidentés du pays, des obstacles beaucoup plus sérieux que ceux qui s’étaient présentés dans la matinée; on sentait que l’on avait entamé la région des montagnes et que l’on ne tarderait pas à se trouver en présence de l’ennemi.

Cette prévision se vérifia plus tôt qu’on ne l’avait supposé. Le général fut informé, le soir même, que la ligne de faîtes qui formait l’autre côté de la vallée était fortement occupée, particulièrement sur les trois seuls points où des
cols, resserrés entre des rochers taillés à pic comme des remparts, permettaient de la franchir.

 Djidjelli, Jijel 1851, جيجل

La configuration des lieux rendait aussi périlleuse que difficile la première opérationque notre division allait avoir à tenter contre l’ennemi; une pente longue, raide et toute hérissée de caroubiers, de lentisques et de broussailles épineuses, opposant à la marche leurs épais halliers, conduisait au lit de l‘Oued-Enja, dominé par Kasen, gros et fort village dont les blanches murailles et les terrasses étaient garnies de défenseurs. Il fallait d’abord enlever cette position, pour pouvoir franchir par d’affreux sentiers les ravins qui conduisaient aux trois cols; l’attaque de ces derniers passages, où trois mille Kabyles s’étaient retranchés derrière des murs formés de quartiers de rocher, devait enfin former la dernière péripétie de cette longue lutte.

La division s’ébranla au point du jour; elle s’écoula en trois lignes le long des pentes buissonneuses du Fedj-Beïnem et gagna les bords de l’Oued-Enja, qu’elle franchit, à sept heures, sur trois points à la fois. Une vive fusillade éclata aussitôt sur la gauche; c’était la tête de la colonne du général Luzy qui heurtait la dechera de Kasen placée sur la route. Ce village, attaqué par nos tirailleurs indigènes, fut enlevé à la baïonnette, malgré l’intrépide résistance des Kabyles, dont plusieurs tiraient encore des maisons livrées aux flammes.

A ce bruit, une noble rivalité s’empara des trois colonnes; chacune, plongeant dans la gorge étroite du ravin conduisant au col objet de son attaque, la parcourt d’un pas rapide, sous le feu de l’ennemi, et aborde ses retranchements avec autant d’audace que de vigueur: un combat acharné s’engage sur ces trois points.

Pendant que le général Luzy, intrépidement secondé par le colonel Marulat, dirigeait en personne une charge à la baïonnette sur le front de la position qu’il devait enlever, le commandant Bataille, à la tête des tirailleurs indigènes, exécutait avec résolution un mouvement tournant qui jetait le désordre dans les masses ennemies et arrivait sur le plateau, au moment où le 208 et les spahis, enlevés par le commandant Fornier, l’atteignaient eux-mêmes.

Le combat prit sur ce point un vrai caractère de fureur. Le capitaine Faucon, du 20e, et le capitaine Jollivet, des tirailleurs, furent tous deux blessés; le commandant Valicon, du 20e de ligne, tomba, frappé à mort, au premier rang de son bataillon. L’ennemi n’avait pas été attaqué avec moins d’énergie par la colonne de droite; les nombreux cadavres qu’il laissa derrière ses retranchements prouvèrent à tous les regards la vigueur de l’attaque, par l’acharnement de la défense. Le général Bosquet, atteint d’une balle à l’épaule, n’en resta pas moins à la tête de ses zouaves, bientôt maîtres de toutes les crêtes dont ils avaient débusqué les Kabyles.

La colonne du commandant d’Espinasse s’était emparée tout aussi rapidement du col central, d’où son chef s’était élancé ardemment, avec son bataillon, à la poursuite de l’ennemi. Toutes les forces de l’expédition avaient eu leur part dans ce glorieux début de la campagne. Le colonel du Se de ligne, M. Jamin, chargé de protéger le convoi, avec un bataillon de son régiment et deux autres bataillons, l’un du 46e léger et l’autre du 10e de ligne, avait eu lui-même à repousser une vive attaque, dans laquelle le commandant Robuste,du 8e de ligne, et le capitaine Berthier, des zouaves, avaient été l’un et l’autre blessés.

Jijel, Djidjelli, Saint-Arnaud, جيجل

Le corps du général Bosquet conserva jusqu’au soir les positions dont il s’était emparé, et d’où il pouvait, au besoin, se porter instantanément au secours du convoi défilant avec une extrême lenteur dans les sentiers à peine frayés de ces gorges presque inaccessibles. Il ne put venir occuper qu’à huit heures du soir les terrains qui lui avaient été réservés sur le plateau où notre division avait dressé ses tentes.

Le soir, le général en chef établit le bivouac à El-Aroussa, cette journée nous avait coûté onze hommes morts et quatre-vingt-un blessés.

Le lendemain 12 mai fut pour l’armée un jour de repos; la cavalerie, appuyée par quatre bataillons sans sacs, fut cependant détachée,sous les ordres de MM. les généraux Luzy et Bosquet, pour incendier les villages des Beni-Mimounn et des Ouled-Askar. Les Kabyles se portèrent avec fureur contre les forces chargées de ces exécutions. Leurs attaques ne servirent qu’à semer les rocs et les bruyères de leurs cadavres. Nous eûmes dans ces engagements trente-sept hommes mis hors de combat; trois officiers étaient au nombre des blessés. Le soir, quand notre détachement rentra au bivouac, les colonnes de fumée s’élevant dans le ciel, où ne circulait qu’une brise insensible, révélaient le nombre et la situation des villages livrés aux flammes.

 


 

" L'Honneur de Saint Arnaud ",  François Maspero

 


  • COMBAT DU 13 MAI.

Le corps expéditionnaire se remit en marche le 13, aux premières clartés du jour. Sa marche, principalement à cause du convoi, rencontra des difficultés extrêmes. Le sentier qu’il fallait suivre se tordait, étroit et rocailleux, à travers des fourrés dont les chênes-liéges, les palmiers nains, les myrtes et les lentisques formaient, pour les tirailleurs kabyles, des asiles impénétrables. Toutes les hauteurs escarpées qui le dominaient étaient occupées par l’ennemi, il fallait l’en débusquer et les occuper jusqu’à ce que le convoi les eût dépassées.

Dans les engagements successifs auxquels cette marche donnait lieu, nos troupes avaient toujours contre elles le désavantage de la position; aussi ces attaques leur coûtaient-elles des pertes nombreuses. Elles s’acquittaient pourtant avec autant d’ardeur que de succès de cette tâche périlleuse et pénible. Toutes ces actions partielles étaient autant d’échecs pour l’ennemi, qui essuyait dans ses retraites des pertes bien supérieures, qu’un triste épisode vint frapper notre division et jeter le deuil dans tous les esprits.

Deux compagnies de grenadiers du bataillon d’élite fourni parle 10e de ligne avaient-chassé un nombreux parti de Kabyles d’une position escarpée qui dominait le flanc gauche du sentier par où les mulets du convoi devaient passer un à un; elles s’y étaient provisoirement établies.

De cette hauteur, elles dominaient tout le développement qu’offrait cet immense défilé, sans cesse l’objet, sur quelque point, d’alarmes ou d’attaques de l’ennemi. Un vif engagement entre l’arrière-garde et des forces kabyles bien plus nombreuses appela, durant quelques minutes, leur attention, celle même des sentinelles, à qui l’intérêt du spectacle fit oublier leur devoir.

Cette négligence n’échappa point à des Kabyles embusqués sans doute dans le voisinage. Trois ou quatre cents des plus intrépides se jettent dans un taillis qui touche à la position, glissent à travers les rochers, rampent sous ce voile de broussailles, approchent ainsi sans bruit du point gardé avec si peu de vigilance par nos troupes, puis, s’élançant à la fois du milieu de ces halliers, ils fondent sur elles le yatagan à la main; un combat corps à corps s’engage alors entre les assaillants armés et nos soldats qui, surpris sans défense, sont quelque temps avant de pouvoir opposer à cet ennemi d’autres armes que la vigueur de leurs muscles et l’énergie de leur désespoir; le sang français rougit seul ces bruyères qui se couvrent de cadavres, lorsqu’un bataillon du 9e, attiré par les cris des combattants et le bruit de la lutte, vient arracher au massacre les débris de ces deux compagnies: ce n’est qu’au prix de quatre morts et de neuf blessés qu’il recouvre la position en culbutant les Kabyles dans le fourré, où ils se dérobent à ses coups.

Les grenadier avaient eu cent huit hommes mis hors de combat; quarante-trois hommes, dont cinq officiers, couvraient le sol de leurs cadavres. Parmi les morts du bataillon du 9e de ligne, se trouvait M. de Lagournerie, officier du plus grand mérite et de la plus brillante valeur.

Cette journée, la plus sanglante de toute la campagne, ne coûta pas à l’armée moins de deux cents combattants.

Notre division, profondément attristée par ce douloureux incident, arriva sur une croupe de bruyères où elle établit son camp; un espoir s’unissait à sa tristesse et en adoucissait l’impression sinistre: c’était celui de faire payer chèrement à l’ennemi ce succès qu’il n’avait dû qu’à une surprise.

La marche du lendemain ne lui permit pas de le réaliser; les versants et les ravins de ces montagnes étaient couverts d’épaisses et magnifiques forêts d’ormes, de chênes et de bouleaux; les hautes broussailles croissant au milieu des arbres offraient aux Kabyles des moyens trop faciles et trop sûrs d’inquiéter notre marche, pour qu’ils affrontassent nos balles et nos obus en attaques en masses et à découvert.

 Djidjelli, jijel, expedition Saint-Arnaud

Le 14 mai , les lieux furent moins favorables à cette guerre d’embuscade; aussi l’ennemi fut-il dans la nécessité d’avoir recours à un autre mode de combat. Un nombreux rassemblement, formé près d’une gorge étroite, dans un pli de terrain boisé qui l’avait dérobé aux regards de nos éclaireurs, tenta une irruption violente sur notre ligne; mais, accueilli par une fusillade meurtrière ouverte sur lui par les tirailleurs du commandant Bataille, et vivement
chargé par les zouaves du commandant Laure, il se dispersa en semant de ses morts les ravins où l’emporta sa fuite (1).

(1) Etat nominatif des officiers français tués ou blessés dans les journées des 11, 12, 13, 14 et 15 mai 1851.

Tués.MM. Valicon, chef de bataillon au 20e de ligne; de Lagournerie, capitaine au 9e de ligne; Dufaur, capitaine; Judan et Neffiiez, lieutenants; de Figarelliet Dechez, sous-lieutenants au 10e de ligne; Brahim-Mustapha, sous-lieutenant aux tirailleurs indigènes.
Blessés.MM. le général Bosquet (légèrement); Etienne et Teillac, lieutenants au 2e bataillon de chasseurs à pied (légèrement); Robuste, chef debataillon, et Hunolt, sous-lieutenant au 8e de ligne; Faucon, capitaine au 20″ de ligne (grièvement, bras fracturé); Grout de Saint-Paër, capitaine au 20e; Thiery, Aubert, Lazuttes, Fontaine, lieutenants au 20e; Berthier, capitaine aux zouaves; Anouilh, lieutenant au 16e léger ; Robillard, lieutenant au 3e bataillon d’Afrique; Collineau, capitaine; Bicheroux et Brout, sous-lieutenants à la légion étrangère; Jollivet, capitaine; Coulon-Lagranval et Panier des Touches, lieutenants; Yalentin, sous-lieutenant aux tirailleurs indigènes de Constantine; Pelletier, capitaine aux spahis.

Le camp fut assis, le soir, dans une position aussi remarquable par sa commodité et ses avantages réels que par la beauté de son site: c’était un plateau qui, au nord, voyait se dérouler un pittoresque panoramade collines,s’abaissant progressivement en gigantesques degrés et allant baigner sa dernière assise dans les lames de la Méditerranée; à l’est, il dominait une fraîche vallée, au milieu de laquelle coulait l’Oued-el-Kebir entre deux rives couvertes de bouquets de saules, de caroubiers et de trembles.

Le 15 mai, les troupes bivouaquèrent à Kounar, petit port à l’embouchure de l’Oued-Djinden, une partie de l’armée du moins; car le général Saint-Arnaud, sachant que les villages de plusieurs tribus qui avaient inquiété notre marche se trouvaient à une faible distance sur les bords de la rivière, chargea le colonel Meruat de se porter sur ces douars en suivant avec sa colonne la vallée d’une déclivité douce qui formait la lisière de l’âpre chaîne de montagnes que nous venions de franchir. Cet officier s’acquitta de cette mission avec célérité et vigueur; tous ces beaux et grands villages furent attaqués et détruits malgré l’audace que leurs habitants et les Kabyles auxiliaires mirent à les défendre. Quand le colonel Meruat reprit la route de notre bivouac, ces dechera ne formaient plus que des monceaux de cendres encore fumants.

La division rencontra des chemins de plus en plus praticables et des terrains bien plus découverts encore que le jour précédent; toute attaque cessa alors; les Kabyles n’osèrent se hasarder sur des terrains où ils eussent été certains de ne pas échapper aux sabres de nos cavaliers.

Le 16 mai, notre division vint donc établir ses bivouacs sous Djidjelly, sans avoir eu à soutenir de nouveaux combats; elle n’y arriva pas moins épuisée par les dernières marches qu’elle ne l’eût été par des engagements continuels; des fatigues avaient succédé aux dangers; des pluies battantes aux balles de l’ennemi.

Djidjelly, quoique formé d’un misérable assemblage de masures arabes et de quelques bâtiments de dépôt construits par l’administration française, n’est autre que cette Igigili dont parle Ptolémée; mais cette triste bourgade n’a pas même pour se consoler de sa décadence quelques nobles ruines des édifices dont l’avait ornée la domination romaine.

Nos troupes ne venaient heureusement lui demander que des approvisionnements et quelques jours de repos: les approvisionnements avaient été déposés en abondance dans ses magasins par des steamers expédiés d’Alger; quant aux jours de repos, nos bivouacs avaient trouvé, en dedans de la ligne de blockhaus qui forment sa ceinture guerrière, de spacieux terrains et une assiette commode.

Le gouverneur général par intérim, M. le général Duvivier, était arrivé dans cette place depuis le 14; le bateau à vapeur le Titan y attendait notre corps expéditionnaire pour prendre les malades et les blessés, qu’il transporta dans l’hôpital de Philippaville; il en reçut à son bord deux cent cinquante-trois, dont neuf officiers.


  •  Opérations dans le sud chez les Beni-Amran et les Beni-Khettab.

L’éloignement de nos troupes avait rendu l’audace et la résolution aux contingents kabyles accourus au secours des tribus attaquées; ils s’étaient abandonnés si aveuglément aux illusions de l’espérance, qu’ils s’étaient avancés en masses nombreuses jusqu’à quelques lieues de Djidjelly, se flattant de tirer vengeance des défaites de leurs compatriotes,si nous tentions de les attaquer dans la forte position où ils étaient venus se retrancher.  Le général en chef jugea utile de leur donner une leçon aussi rapide que sévère.

Notre division reçut l’ordre de se préparer à entrer en campagne le 19 mai au point du jour; à onze heures elle avait atteint le plateau de Dar-El-Guidjali au milieu du riche territoire des Beni-Amram; un fort parti ennemi occupait sur la gauche une ligne de hauteurs, éloignée d’environ deux kilomètres, au centre de laquelle se trouvait, près d’un camp fortifié à la hâte, le passage qu’il fallait franchir.

Le général donne l’ordre au corps expéditionnaire d’établir son camp sur ce plateau, et commandant à six bataillons de déposer leurs sacs, il en forme trois. colonnes: une reste sous ses ordres; les deux autres sont confiées à la direction des généraux Luzy et Bosquet; une partie de la cavalerie doit appuyer le mouvement.

Le 19 mai à midi, les trois colonnes se mettent en marche et descendent le versant de Dar-El-Guidjali d’un pas rapide; arrivées au pied des positions ennemies, les trois colonnes s’élancent sur les rampes, les gravissent avec une ardeur devant laquelle toutes les difficultés disparaissent, et abordent l’ennemi avec une telle impétuosité qu’il ne peut soutenir le choc; renversé de toutes ses positions, il se rallie; il tente d’effectuer sa retraite en ordre en la couvrant d’une vive fusillade, et, lorsque nos soldats la pressent trop vivement, en opérant sur eux des retours offensifs; mais le colonel Bouscarin, qui est parvenu à tourner ses positions avec la cavalerie, apparaît devant lui et le charge énergiquement en tête, tandis que nos soldats, stimulés par ce concours imprévu, fondent sur ces masses confuses avec un redoublement d’ardeur.

Les Kabyles, ainsi pris entre la pointe de nos baïonnettes et le tranchant de nos sabres, se jettent avec épouvante dans toutes les directions où ils espèrent échapper à la mort. Cent-vingt cadavres restèrent sur le champ de bataille; ce succès ne nous coûta que deux hommes et trente-un blessés.Ces positions avaient été défendues par plus de deux mille fusils, appartenant aux tribus des Beni-Amran, des Beni-Ahmed et des Beni-Khattab.

Cette défaite ne découragea point cet ennemi acharné; loin de se disperser, il se rallia, le soir même, sur une nouvelle ligne de défense occupée par les nombreux guerriers de la tribu des Beni-Foughal et de leurs alliés, dont les positions conquises ne formaient, pour ainsi dire, que les avant-postes.

Le général Saint-Arnaud regagne le camp, son plan d’attaque est arrêté. L’ordre est donné à huit bataillons, sans sacs, de prendre les armes; quatre obusiers et toute la cavalerie doivent concourir à l’attaque.

Ces forces quittent le camp le 20 mai à onze heures; à midi elles se trouvent en présence de l’ennemi. Le général Bosquet, chargé d’exécuter le mouvement de front avec deux bataillons d’élite, jette les zouaves en tirailleurs dans un terrain boisé d’où ils occupent l’attention de l’ennemi par une fusillade sans autre importance réelle. Pendant ce temps, la cavalerie se masse dans un pli de terrain et le bataillon de tirailleurs indigènes s’approche de la gauche dont il doit gravir les pentes abruptes. Le général Saint-Arnaud, resté avec un bataillon de réserve, donne l’ordre d’attaquer; c’est un coup d’obusier qui transmet ce commandement aux troupes impatientes.

A ce signal toutes ces forces s’ébranlent à la fois. Le général Bosquet, l’épée à la main, prend la tête du 8e de ligne, et s’élance vers la crête, que les zouaves assaillent à droite avec une irrésistible ardeur; les tirailleurs indigènes s’attachant aux rocs, se prenant aux broussailles, gravissent les escarpements de gauche avec une ardeur et une rapidité effrayantes; la cavalerie, que le 2e bataillons de chasseurs à pied suit au pas gymnastique, se précipite vers l’entrée du vallon, y plonge et, sabrant tout ce qui veut s’opposer à son passage, gagne le col, où les chasseurs à pied arrivent aussitôt qu’elle.

Les Kabyles, enveloppés par ce mouvement rapide, se trouvent inopinément attaqués de trois côtés à la fois par des forces qui, se resserrant sur eux, ne leur laissent d’autre retraite que le ravin profond où elles veulent évidemment les jeter. Le combat prend alors le caractère de la plus furieuse violence.
Dans l’alternative de se faire tuer ou de tenter la périlleuse voie de salut que leur offre cette espèce de précipice, les Kabyles ne peuvent d’abord se résoudre à fuir, ils luttent avec l’acharnement du désespoir, disputant chaque pied de terrain qu’ils n’abandonnent que rougi de leur sang et couvert de leurs morts; ce n’est qu’au moment d’être culbutés dans le ravin, qu’ils se décident à s’y dérober à la ceinture de fer que nos baïonnettes et nos sabres ferment sur eux.

Ils glissent, se précipitent au fond de cette gorge étroite où leurs masses, s’agitant en désordre et roulant dans la confusion de la terreur, sont obligées de défiler sous le feu de nos bataillons.

Le sol reste couvert de trois cent quatre-vingts de leurs cadavres.

 Djidjelli, jijel, expedition Saint-Arnaud, جيجل

Cette sanglante victoire jeta la consternation dans toutes ces montagnes:pendant que nos troupes rentraient au camp, joyeuses et portant, comme trophées de ce brillant succès, les armes, les ceintures et les burnous pris à l’ennemi, la nouvelle du dénouement désastreux de ce combat parcourait les douars voisins, dont tous les hommes valides avaient pris part à ces deux jours de luttes; partout éclataient la douleur et le désespoir; des lamentations et des cris de deuil s’élevèrent toute la nuit de ces decheras désolées: le découragement gagna les cœurs les plus résolus.

Trois grandes fractions des Beni-Amran : les Achaïb, les Ouled-Bouiza et les Ouled-bou-Acher vinrent, dès le lendemain, faire leur soumission. Les Beni-Ahmed envoyèrent leurs cheiks solliciter l’aman. On put, dès ce moment, prévoir que l’expédition porterait les fruits qu’on en avait espérés. La coalition des tribus de la petite Kabylie n’était pas seulement vaincue, elle était dissoute.

Si quelques-unes de ses fractions s’agitaient encore, ce n’étaient plus que les tronçons du serpent qu’a divisé le fer. On eut bientôt une nouvelle preuve de ce changement heureux. Les tribus voisines de Bougie, que le fameux shériff  Bou-Bagla avait soulevées, redoutant le châtiment que leur imprudence devait attirer sur elles, se révoltèrent contre ce fanatique, et après l’avoir forcé à fuir précipitamment de leur territoire, envoyèrent en donner avis au commandant français de leur subdivision.

Le général Saint-Arnaud, reconnaissant que la partie grave et périlleuse de l’expédition était accomplie, pensa devoir diviser ses forces pour hâter la soumission des tribus qui restaient encore en armes sur divers points du pays. Il se dirigea d’abord vers Tebaïren, douar important du Ferdjlouah, où il rejoignit un convoi qui lui avait été expédié de Milah. Il y arriva le 25. Le lendemain, il détacha de la division deux bataillons du 8e de ligne et une section d’artillerie de montagne. Illes plaça sous le commandement du général Bosquet, qui eut ordre de se porter avec ces forces dans la subdivision de Setif, où le général Camou opérait avec un corps de troupes trop faible pour pouvoir attaquer un nombreux rassemblement de tribus insurgées.

Opérations dans le sud-ouest de Djidjelli, chez les Beni-Foughal.

Cependant la division du général Saint-Arnaud poursuivait le cours de ses succès au milieu des tribus du nord-est de la petite Kabylie. Dès le 26 mai, elle pénétrait dans les montagnes des Beni-Foughal, tribu nombreuse qui garde les passages du Djebel-Babor, point culminant de la route de Djidjelly à Setif;  à midi, il prenait position sur un plateau, vis-à-vis d’une chaîne de montagnes boisées, où l’on apercevait de distance en distance leurs villages aux blanches murailles ombragées de figuiers.

Les nombreux Kabyles armés que notre division vit se réunir sur les hauteurs qui faisaient face à son camp lui fit comprendre que l’ennemi était résolu à se défendre. Le général lança à deux heures sur ces rassemblements deux colonnes légères, qui eurent ordre, après les avoir dispersés, de se porter sur leurs villages et de les réduire en cendres.La résistance des Kabyles ne put empêcher ces incendies.

Énergiquement culbutés sur tous les points où nos troupes purent les aborder, ils durent se résigner à voir leurs habitations dévorées par les flammes s’évanouir en tourbillons de fumée. Le soir, il ne restait plus de ces villages que des monceaux de décombres au-dessus desquels se dressaient encore quelques troncs carbonisés.

Le lendemain fut marqué par un engagement beaucoup plus sérieux. Le corps expéditionnaire s’étant porté en avant, fut arrêté par une rivière coulant au pied de hauteurs escarpées où les Beni-Foughral s’étaient réunis aux
Beni-Ouarzzeddin. Legénéral Saint-Arnaud divisa son corps en deux colonnes. Pendant que la première, sous les ordres du général Luzy, se jetant dans le lit de la rivière, attaquait le front et la droite de cette position, le colonel du 20e de ligne, M. Marulaz, qui avait remplacé le général Bosquet dans le commandement de la seconde brigade, tournait la ligne et l’abordait par la gauche.

Le succès fut disputé quelque temps par l’ennemi, et surtout par les Beni-Foughral, avec la fureur du désespoir; balayés de tous les points de la ligne, ils tenaient encore avec tant de résolution, derrière des retranchements qu’ils
avaient ébauchés sur la gauche, qu’il fallut un vigoureux assaut du 16e léger et du 20e de ligne pour les leur enlever. Ce combat sanglant fut le dernier effort de la révolte.

Le général Saint-Arnaud eut bien encore quelques engagements sérieux avec plusieurs tribus ou fractions de tribus insoumises:l’affaire de Ksiba où, avec son avant-garde, il débusqua les Beni Ider d’un bois d’oliviers où ils s’étaient protégés par des abatis d’arbres; le combat de Tabar, où nos soldats poursuivirent les Kabyles jusque sur leurs cimes les plus élevées, et dix autres engagements; mais ce n’étaient plus que les dernières convulsions du fanatisme impuissant.

 La division ne rencontra plus d’ennemis dans sa marché vers Djebel-Babor. Deux tribus vinrent y faire leur soumission ; toutes celles que le corps expéditionnaire rencontra sur sa route en se dirigeant vers Djidjelly vinrent lui apporter des paroles de paix et cette redevance en vivres que, sous le nom de diffa, chaque tribu doit offrir au sultan ou maître du pays, quand il passe sur son territoire; les autres vinrent successivement demander l’aman et accepter la domination de la France.

Saint-Arnaud  repartit le 5 juin pour se porter à l’ouest, le long de la mer 10 11 et 12 juin furent marqués par des combats où nous gardâmes toujours l’avantage . sans éprouver de pertes sérieuses. La division atteignit ainsi Ziama, ancienne colonie romaine dont les côtes sont riches en corail, tandis que les montagnes voisines sont couvertes d’admirables forêts. Les tribus se soumirent tour à tour, et le 16 juin Saint-Arnaud rentra pour la troisième fois dans Djidjelli, débloquée à l’ouest et au sud (1).

 


 

Operations à l’est ( El-Milia -Collo).(2)

Djidjelli débloquée par le sud et l’ouest, le général Saint-Arnaud dirigea sa colonne vers l’est. Le 18 juin, il se remit en marche, et, le 19, il eut un premier engagement avec les Beni-Ider. La rapidité et les difficultés de son passage, en allant de Milah à Djidjelli, ne lui avaient pas permis de réduire les tribus dont il traversait le territoire : c’étaient les mêmes qui venaient disputer la route.

Chaque journée avait son combat, chaque tribu faisait « parler la poudre » . Les Beni-Ider ne se soumirent que par fractions et isolément; mais lorsque la colonne eut atteint le Tahar, dont la position domine une grande étendue de pays, les Beni-Ider, les Beni-Mamer et les Beni-ftah demandèrent l’aman, ainsi que les Ouled-Askar, la tribu la plus puissante de ces montagnes (22 juin).

Il en fut de rnême, les 24 et 25, des Beni-Habibi, qui, nous ayant attaqués, furent repoussés et vigoureusement
poursuivis par les lieutenants-colonels Espinasse et Périgot. La colonne remonta au nord, et de Tabenna descendit encore à Kounar. La route était difficile; mais le général, ayant reçu des otages, ne comptait pas sur un engagement , lorsque trois mille Kabyles, formés des contingents de quatorze tribus, qu’avait réunis un Arabe de Collo, fils d’un ancien caïd du temps de la domination turque, se précipitèrent sur notre arrière garde, disputant le terrain pied à pied, luttant corps à corps ; ils ne battirent en retraite qu’après plusieurs retours offensifs de nos troupes, vigou-reusement conduites par Espinasse et par le chef de bataillon Picard, le même qui figura dans le premier engagement de nos troupes sous les murs de Borne.

L’ennemi fit des pertes sensibles ; les nôtres, pour l’être moins, étaient pourtant nombreuses ; nous avions vingt-huit soldats et deux officiers tués, et cent cinq blessés, dont deux officiers.

La corvette à vapeur le Titan croisait devant Kounar ; elle reçut nos blessés, et fournit à la colonne un ravitaillement . Le général y resta jusqu’au 1er juillet. Le commandant Fleury venait de le quitter, emportant sa parole et lui laissant une promesse. C’est à Kounar, en effet, que le général Saint-Arnaud reçut une lettre autographe du Président de la République, qui lui annonçait sa nomination au grade de général de division . Quelle hâte ! La campagne n’était pas finie; c’était une course militaire plutôt qu’une conquête : pourquoi n’en pas attendre la fin? Pourquoi ces récompenses qui devancent la victoire? Mais le prince avait trouvé son homme, et voulait
l’enchaîner sans retour à sa fortune.

La colonne passa le 1er juillet sur la rive droite de l’Oued-el-Kébir, battit les Bel-Aïd, les Beni-Meslem, repoussa, le 3, une attaque de nuit, recueillit les soumissions des Djebala, des Beni-Fergan, des Michat. Le 6, le bivouac fut établi chez les Ouled-Aïdoun, à El-Milia. Le général Saint-Arnaud y demeura jusqu’au 12 juillet; ces six jours furent employés non-seulement à faire reposer les troupes, que fatiguaient là chaleur et ces combats continus, mais à peser sur les tribus voisines pour les réduire à merci. Pendant ce temps les blessés étaient évacués sur Milah, sous la protection de cinq cents hommes d’infanterie et des goums qui ramenèrent des vivres pour ravitailler la colonne. A partir de ce moment, le général Saint-Arnaud précipite sa marche.

Le 12 juillet, il part d’El-Milia; lui qui recherchait la lutte et les passages difficiles, il les évite, laisse de côté des tribus insoumises, et, au lieu de se diriger sur Collo par les montagnes et d’aborder ce Djebel-Gouffi où se sont réfugiés les révoltés, il se rabat sur la vallée de l’Oued-Driouat, affluent de l’Oued-Guebli, arrive 14 juillet à El-Hamman et le 15 à Collo.

Tandis que la corvette le Titan surveille la ville, deux colonnes légères partent le 16, sous les ordres des lieutenants-colonels Espinasse et Périgot, et deux autres le 17,. pour enlever les villages des Achach, des Beni-Ishak, des Ouled-Attia et des Aïchaoua. De ces diverses tribus, les Achach se soumirent ; les Beni-Ishak furent effrayés, les Aïchaoua ne bougèrent pas, les Ouled-Attia se retirèrent sur l’El-Gouffi, où le général Saint-Arnaud rie se souciait plus d’aller les chercher, et la campagne se termina brusquement sans que le massif montagneux du cercle de Collo eût été abordé. En revanche, sept bataillons remontèrent la vallée de l’Oued-Guebli, pour intimider des populations qui n’étaient plus guère en humeur de rébellion .

" L'Honneur de Saint Arnaud ",  François Maspero

Le général de Saint-Arnaud entra à Philippeville sous un arc de triomphe. « C’est la première fois, écrivait-il, qu’en Afrique, je vois les populations civiles fêter ainsi les colonnes expéditionnaires qui viennent de se battre pour la sécurité progressive de nos intérêts algériens. » Les journaux officieux de Paris, muets sur l’expédition des généraux Camou et Bosquet, exaltèrent celle de la petite-Kabylie.

Après les rapports partiels, vint un rapport d’ensemble, mais plus juste envers tous, émané du ministre de la guerre, et qui fut inséré au Moniteur. Puis tous ces éloges bruyants eurent leur dénouement : le 23 juillet, le général Saint-Arnaud reçut par dépêche la nouvelle qu’il était appelé à commander une division active à Paris, et l’ordre de se rendre sur-le-champ à son poste.

Le lieutenant-colonel Espinasse, nommé colonel depuis le 14 juillet, et le colonel Marulaz, nommé général furent également mandés à Paris. Tels furent les premiers résultats de la mission du commandant Fleury, qui, pour la part qu’il avait prise à cette campagne, fut nommé quelques jours après lieutenant-colonel au 1er hussards  (8 août 1851).

Quant à l’expédition dans la petite-Kabylie; elle avait été trop rapide pour laisser des traces. Lorsque, deux ans plus tard, le maréchal Randon entreprit la conquête de ces régions , tout était à refaire, mais il le fit lentement, solidement, avec du temps, sans charlatanisme, et son succès dure encore.

 

________

Sources :

–  Histoire de la république de 1848, Victor Pierre, T.2,  p.527.

– Histoire de l’armée et de tous les régiments, T.5, P.26.

 

Cette publication a un commentaire

  1. Khemis

    Je cherche des informations sur la tribu des ouled el hadj qui a été divisé en deux douar arksib et denaira

Laisser un commentaire