Nous donnons ci-dessous la notice de M. le capitaine d’état-major Derrien, sur les ruines d’une position antique d’un grand intérêt, en ce qu’elle jalonne une frontière importante dans la géographie comparée de l’Afrique septentrionale.
« Merdja est située sur la rive gauche de l’oued el-Kebir (Ampsaga), à l’endroit où, avant, de se jeter dans la mer, le fleuve tourne brusquement à l’est, pendant 2 kilomètres au moins, comme vous le verrez sur l’extrait ci-joint.
» Les ruines actuelles présentent quatre pointes de murailles s’avançant dans l’Ampsaga, sur un déve-loppement de 45 m.– Les murs intérieurs sont espacés de 25 m., et la distance de ceux-ci aux murs extrêmes est de 10 m.
— Le mur du sud a de plus un crochet en maçonnerie, à angle droit, de 4 m. de longueur; l’épaisseur de ce mur est de 0 m. 50.
— La partie supérieure offre 1 m. de maçonnerie régulière qui, au premier abord, semble de construction récente. — M. Brunet, le gérant de là concession Bock, qui fait embarquer les lièges à l’embouchure du fleuve, prétend qu’il existait au Merdja une sorte de quai, construit par les colons de 1860 pour l’embarquement des vivres.
Je ne partage nullement celle opinion; la maçonnerie est bien faite avec du ciment romain, que les coups de pioche répétés émoussèrent à peine. De plus, cette maçonnerie repose sur des blocs de pierre de 0,50 à 0,70, cimentés de la même manière.
» A 6 m. en arrière de la pointe du mur nord, apparaît une pierre de 0 m. 50 ; deux autres se montrent de même en arrière de la pointe du mur sud, à 12 et 13 m.
« La reconnaissance des lieux ainsi faite, je me suis mis à examiner l’une après l’autre, toutes les énormes pierres gisants sur le talus d’éboulement : mais pas la plus petite inscription, et j’en ai été pour mes frais de préparation d’estampage. Je plaçai deux ordonnances et deux arabes entre les amorces de murailles,
et je fis commencer les fouilles ; j’observai qu’aux trois endroits où ils travaillaient, après 0,50 à 0,60 d’alluvions, paraissaient des débris nombreux de tuiles plates avec bourrelets et d’autres demi-cylindriques, le tout cimenté et mêlé à des blocs de pierre de différentes dimensions. Au bout d’une heure à peu près d’un travail pénible, un de mes hommes détacha du sol un chapiteau tout enduit de sable et de ciment.Je le fis nettoyer et constatai qu’il est de la forme la plus simple et mesure 0 m. 44 c de hauteur sur une largeur de 0 m. 40 c.» Au môme moment, un autre travailleur m’appela pour me montrer des ossements qui apparaissaient sous une zone de chaux. Je fis creuser plus avant avec soin, et au milieu d’une foule de petits os cassés, on recueillit un bracelet ou un anneau brisé en deux et des débris de boucles d’oreilles, le tout recouvert d’un beau vert-de-gris, avec cassure brillante. — En continuant les fouilles, on découvrit un énorme bloc de pierre rectangulaire de 1 m. de long sur 0,40 d’épaisseur. — Pour le coup, je crusà une pierre tumulaire, et j’espérais une inscription : je réunis mes piocheurs, et une demi-heure après, la pierre détachée roulait et disparaissait dans l’Ampsaga ! II me fallut un renfort d’arabes et une bonne heure de travail pour la tirer, hors de l’eau ; déception : aucune épigraphe n’apparaît sur ses faces planes parfaitement taillées.
» Le lendemain, je me remis à l’œuvre; une quinzaine de blocs semblables au précédent furent arrachés du sol, mais toujours sans inscription : plusieurs étaient percés de trous cylindriques de 6 à 8 centi-mètres de diamètre ; un de ces blocs présentait un étranglement dans son milieu de 2 centimètres de profondeur et un autre était taillé à l’intérieur en forme d’auge .
» Les fouilles opérées sur un troisième point, ne mirent à découvert qu’une quantité considérable de tuiles et à 1 m. 50 de profondeur des grandes plaques de blocage que je crois être un dallage; il. présente 0 m.12 de placage, plus 0,10 c de béton superficiel de briques.
Je fis faire encore quelques fouilles en arrière dans la direction des murs, mais on ne rencontra que le terrain d’alluvion à 1 m. 50 au plus. Les Arabes prétendent que; la partie la plus importante de l’anci-enne ville est dans la rivière même, que le lit du fleuve est rempli de squelettes : M. le capitaine Linoth, du bureau arabe, m’a confirmé le fait, et il y a découvert lui-même un squelette gigantesque.
» Voilà tout ce que j’ai pu recueillir ; avec plus d’hommes et plus de temps j’aurais été sans doute plus heureux. — Puissent néanmoins ces quelques documents vous être agréables : la présence d’une station romaine en cet endroit est incontestable, et c’est bien là l’oppidum Tucca de Pline, impositum mari et flu mini Ampsagae..
» En me rendant de Djijeli aux Beni-Habibi, je me suis écarté un moment de la route de Collo, pour explorer l’embouchure de l’oued-Nil ; le fleuve forme comme l’oued el-Kebir un coude devant les dunes et coule à l’est pendant 4800 m. environ. – Je n’ai aperçu aucuns vestiges des ruines de Kounar. Les Arabes prétendent que les sables ont tout recouvert ; à mon retour, j’établirai mon bivouac chez les Beni-Maameur, et j’explorerai plus attentivement ces parages.
» Aux environs de l’oued-Zouhr doit se trouver, je crois, la station Paccianum Matidiae; si des ruines existent, je vous réponds qu’elles ne m’échapperont pas, dans ma tournée topographique, et je vous promets une description détaillée de ce que j’y découvrirai (1).
J. DERRIEN
(1) Le bracelet dont il est question plus liant, et qui a été trouvé à Merdja, est bien romain, de la forme la plus simple, avec des extrémités terminées spatule dont l’une a des traces de gravure (une croix grecque?).
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Source : Revue africaine, N°71 , 1868, P.364