Enquête sur la dispersion de la langue berbère en Algérie – Edmond DOUTTE (1913).

La Kabylie orientale parle arabe et certainement depuis des siècles.
Une Erreur d’Hanoteau sur la petite Kabylie.

Carte Hanoteau, langue berbere, Jijel, Edmond DOUTTEUn seul document nous intéresse spécialement, c’est la carte de répartition des berbères en Algérie publiée par Hanoteau en 1860 parce quelle est à 5o ans de distance le prototype exact de notre travail et que la comparaison de cette carte avec la nôtre est un des éléments essentiels du débat sur la question du recul de la langue berbère. Une remarque préliminaire s’impose, la carte Hanoteau contient une grosse erreur, elle classe la Petite Kabylie parmi les régions berbé-rophones, exactement les Kaidats du Ferdjioua, des Zouagha, de l’Oued el Kebir et des Mouïa. C’est la vallée de l’Oued el Kebir depuis sa source jusqu’à son embouchure ; dans la division administrative actuelle, ce sont les communes mixtes de Takitount (moitié orientale), de Fedj-Mzâla, d’El-Milia. Or, la Petite Kabylie parle arabe et certainement depuis des siècles.

langue berbère, la carte Hanoteau

Pour établir le lapsus d’Hanoteau les témoignages actuels seraient suffisants; mais nous en avons un très important qui est précisément contemporain de la carte Hanoteau, et il a donc la valeur d’une démonstration en quelque sorte mathématique. Sur la Petite Kabylie, l’interprète militaire C. Féraud, a publié dans les revues algériennes de nombreux articles très documentés. I.e premier est de 1862 (1) (rappelons que la carte Hanoteau est de 1860); voici ce qu’on y lit :

A partir de cette même limite (le versant oriental des Babor) on ne parle plus et on ne comprend même pas la langue kabyle proprement dite. La langue usuelle est un arabe corrompu par la prononciation vicieuse de certaines lettres… la lettre kaf se prononce tche et les mots melk, balek, andek deviennent meltch , baletch, andetch.
Les frontières de la Petite Kabylie arabophone sont d’ailleurs indiquées par Féraud avec précision, et elles n’ont pas changé; sur la crête du Babor, la ligne de partage des eaux, entre les bassins du Bou-Sellam et de l’Oued el Kebir, est, aujourd’hui comme il y a un demi-siècle, la frontière linguistique. Féraud donne d’ailleurs le texte même de chansons arabes recueillies sur les lieux (3) et un Kanoun en arabe de l’Oued el Kebir (4).

(1) Moeurs et coutumes kabyles, par M. L. Féraud (Revue Africaine,.1862. page 272).
(2) On sait que Féraud compilait le plus souvent des documents d’archives (Edm.Doutté, Soc Géog.Oran, 1*97, p. ->’M. note 1). On ne sera peut-être pas fâché de voir son témoignage confirmé par des auteurs plus récents : Luciani, Edm. Doutté. toc. cit., pp. 202 et Suivantes.
(3) Moeurs et coutumes kabyles, par M. L. Féraud [Revue Africain, juillet 1862. p. 275 et 432, : année 1878. p. 10).
(4) Moeurs et coutumes kabyles, par M. L. Féraud [Revue africaine. 6° année juillet 1862, p. 277, etc.).


Le lapsus d’Hanoteau est donc surabondamment établi; ajoutons qu’il s’explique très bien. La Petite Kabylie a reçu le nom qu’elle continue à porter dès les premières années de la conquête, et ce nom présuppose une fraternité avec la Grande Kabylie. Quoique l’opinion, encore aujourd’hui courante, qui fait rentrer ces deux pays dans une même catégorie,soit par bien des côtés une généralisation hâtive, une fraternité de race est après tout incontestable.

Au temps d’Hanoteau on distinguait bien moins nettement qu’aujourd’hui entre la race et la langue. Il s’excuse lui même de ne pas donner un document ethnographique sérieux » où il indiquerait par des teintes différentes les tribus vraiment arabes ». Il croit que les éléments du mélange des deux races « pourront être distingués et classés à la suite d’études longues et minutieuses. »
Dans le cercle de Djidjelli, c’est-à-dire dans la Petite Kabylie maritime, il constate avec surprise que l’Arabe seul est en usage, et cependant la presque totalité de la population est incontestablement berbère (1). Parmi les correspondants d’Hanoteau il s’en trouvait nécessairement qui avaient encore plus de peine que lui à poser en principe l’indépendance absolue des deux concepts, race et langue.
Hanoteau, comme nous-mêmes, a dressé sa carte par correspondance : il a provoqué une enquête administrative, et il en a enregistré les résultats sans pouvoir toujours les contrôler. Celui de ses correspondants qui administrait le Ferdjioua, le Zouàgha, etc., s’est trouvé être un homme très mal informé ou peu scrupuleux.

Nous avons voulu établir par des textes ce gros lapsus de la carte Hanoteau, mais, pour qui est un peu familier avec la province de Constantine, il saute aux yeux, sans aucun recours aux références. Aussi est-il surprenant qu’il n’ait jamais été signalé, à notre connaissance.

(1) Il saute aux yeux que la province arabophone de la Petite Kabylie représente l’arabisation des Ketàma à l’époque Fatemide. L’identification de ce territoire avec celui des Ketâmi est établi par des textes classiques anciens, par une inscription latine et par les textes des historiens arabes.

 

Edmond DOUTTE, 1913

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Source : Enquête sur la dispersion de la langue berbère en Algérie – Edmond DOUTTE (1913). p.140

 

 


langue berbere , Jijel, ziama

 

 

Cet article a 2 commentaires

  1. chouki rachid

    D’apres mes constatations sur les tribus jijelienne,j’ai pu constater que beaucoup de mots et de lieux dit sont en berbère ce qui dénote que la première langue des tributs jijelienne était bien le berbère même les traditions des fêtes comme yennayer sont toujours présentes

  2. Akutam

    Bonjour,
    S’il est certes établi que la VILLE (je dis bien la ville) de Jijel parle arabe (préhilalien) depuis des siècles, rien n’atteste que les tribus des environs parlaient arabe également. Au contraire, il est impossible que les tribus des environs aient été arabisées en même temps que la ville.
    L’arabisation s’est sûrement déroulée de façon progressive, en grignotant des terres à la berbèrophonie (exactement ce qui se passe aujourd’hui même, dans certaines régions).
    Il est donc fort probable que des tribus jijeliennes parlaient berbère il n’y a de cela pas longtemps (3-4 siècles).

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