Mers-el-Zeitoun (le port des Olives). – Djidjelli. – La ville romaine et la ville arabe;

Extrait du livre « Commerce et la Navigation de l’Algérie », ( chapitre VI – Djidjelli)

 Ampsaga, Oued-el-Kebîr, Mers el-Zeïtoun[…]Après avoir dépassé la septième pointe du cap Bougiarone, on aperçoit Mers-el-Zeitoun, le port des Olives, le Zeitounah d’El-Bekri. L’importance commerciale de ce petit port, qui sert au débouché des produits de la riche vallée de l’Oued-Zhour (la rivière fleurie), était autrefois très grande. D’immenses forêts d’oliviers couvrent les diverses chaînes et contre-forts de l’Atlas, et l’huile recueillie par les indigènes, formait au moyen âge une des branches les plus importantes du commerce d’exportation des ces cantons montagneux. La grossièreté des procédés de fabrication employés par les Arabes réduisait de beaucoup la quantité d’huile qu’ils obtenaient; mais ces produits étaient encore considérables (1) .

Les marchands de la Méditerranée, qui allaient au port des Olives vendre pour de l’huile des draps, des toiles et d’autres objets manufacturés, retiraient de ce commerce d’échange de grands avantages; mais cette huile mal travaillée, d’un goût très âcre et d’une odeur insupportable, ne pouvait être employée que pour la fabrication des savons. Au commencement du dix-septième siècle, les huiles de la Kabylie approvisionnaient en grande partie les savonneries de Marseille. Marsa Saito figure sur toutes les anciennes cartes nautiques.


Le docteur Shaw pense que Mers-el-Zeitoun a remplacé les Paccianae-Matidiae de l’Itinéraire d’Antonin et de la table de Peutinger, qui, selon Dureau de la Malle, est la même localité que la station Pancharia, dont il est parlé dans Ammien Marcellin ; mais nous croyons qu’il se trompe. Le port des Olives a succédé très probablement à la petite ville d’Iarsath, d’origine phénicienne ou carthaginoise,qui est mentionnée dans les tables de Ptolémée, L’étymologie d’Iarsath (Ir-Zaïth, la ville des Olives) donne une grande vraisemblance à cette synonymie.
________________
(1). « Les Kabyles, dit Desfontaines, se contentent d’écraser les olives sur une pierre plate, en faisant rouler dessus un tronçon de colonne ou quelque autre corps pesant de forme cylindrique; ils mettent le marc dans de grandes jarres remplies d’eau, puis en le comprimant avec les mains, ils en expriment le plus d’huile possible et la ramassent sur la surface de l’eau où elle surnage. Mais une si légère compression n’en saurait faire sortir qu’une assez petite quantité, et, de plus, ils perdent toute celle qui est miscible à l’eau.» Les mêmes procédés sont encore en usage parmi les Arab

Il est vrai que le géographe d’Alexandrie place Iarsath à l’ouest d’Igilgili; mais, entre cette dernière ville et le Kollops magnus, il cite une autre bourgade qu’il appelle Asisarath. Ces deux noms se ressemblent beaucoup, et il n’est pas impossible que les copistes du savant géographe aient fait de la même ville deux localités distinctes. Selon nous, cette hypothèse est très admissible; on rencontre dans les tables de Ptolémée de fréquents exemples de semblables répétitions.
La baie de Mers-el-Zeitoun, protégée à l’est par des terres élevées, offre aux navires de commerce un abri convenable : le fond est bon et le mouillage très sûr, lorsque les vents d’ouest ne soufflent pas.
La ville est située sur la rive droite de oued Zhour, dont on aperçoit l’étroite vallée au fond de la baie. Quelques ruines, qui indiquent sans doute l’ancien emplacement d’Iarsath, se dressent isolées sur la rive gauche.
A quelques milles à l’ouest du port des Olives, on trouve l’embouchure d’une rivière, qui était connue des géographes grecs et romains sous le nom d’Ampsaga. C’est l’Oued-el-Kebîr (la grande rivière) de la géographie moderne, et les Arabes, en lui donnant ce nom, lui ont conservé à peu près son ancienne étymologie. Suivant Bochart, Ampsaga vient d’un mot phénicien qui signifie rivière large.


. Le fleuve Ampsaga (Oued-el-Kebîr), qui formait la limite occidentale de la Numidie, est célèbre dans l’histoire de l’Afrique romaine,


Au moyen âge, les pécheurs de corail du cap Bougiarone visitaient souvent cette partie du littoral, où ils trouvaient facilement à faire de l’eau et du bois. Les criques nombreuses et profondes qui découpent la côte remplie d’escarpements, leur permettaient de descendre à terre sans crainte d’être aperçus par les indigènes.


Après avoir dépassé l’embouchure de l’Oued-el-Kebir, on découvre une montagne isolée qui se termine à la mer par des falaises.
De ce point jusqu’à Djidjel, la côte, presque droite, est formée en grande partie par des plages ; çà et là on remarque quelques vallons boisés, où se montrent des maisons blanches parmi les touffes d’oliviers sauvages.

La synonymie de Djidjel est facile à établir. La cité arabe occupe l’emplacement de l’ancienne Igilgili, qui fut d’abord une colonie marchande des Carthaginois et qui devint ensuite une ville romaine. Quoiqu’il soit assez difficile de faire coïncider les distances que l’on trouve mentionnées dans Ptolémée et dans l’itinéraire d’Antonin entre Bougie et Djidjel, il n’est pas possible de contester la synonymie antique de cette dernière localité. Sa position, relativement au promontoire Audon (cap Cavallo), et la ressemblance du nom ancien et du nom moderne ne laissent aucune incertitude à cet égard. Au rapport de Pline, l’empereur Auguste y avait fondé une colonie ; elle figure en effet avec cette qualification dans les itinéraires de l’époque.

Sous la domination romaine, Igilgili, communiquant par deux grandes voies avec Saldæ, Kirtha et Sitifi, avait quelque célébrité. C’était un marché central pour les petites peuplades éparpillées dans l’intérieur,
qui venaient s’y approvisionner des marchandises européennes, importées par les Juifs de Césarée et d’Hippone. Dans la Notice de l’église de Mauritanie, Igilgili est mentionnée au nombre des villes qui avaient un évêque.

Au moyen âge, l’ancienne colonie romaine n’avait rien perdu de son importance comme place maritime et commerciale. Les géographes de l’époque en parlent avantageusement.

« Les habitants de Djidjel, disent-ils, sont très sociables, amis des marchands et pleins de bonne foi dans leurs transactions. Ils s’adonnent presque tous à l’agriculture, quoique le sol qu’ils cultivent soit ingrat et ne produise guère que de l’orge, du chanvre et du lin. Les montagnes voisines, couvertes de magnifiques arbres fruitiers, leur fournissent en abondance des noix et des figues qu’ils transportent à Tunis. Ils entretiennent aussi avec les étrangers un grand commerce de cuirs, de cire et de miel.

La ville possède deux ports: l’un, au midi, d’un abord difficile et où l’on n’entre jamais sans pilote; l’autre au nord, appelé Mers-Chara, parfaitement sûr, mais qui ne peut recevoir qu’un petit nombre de navires.»


En 1142, les Normands de Sicile se rendirent maîtres de Djidjel.  Edrisi raconte que toute la population se réfugia dans les montagnes, où elle construisit un fort. Pendant l’hiver, elle revenait habiter la côte ; mais, au retour de la belle saison, à l’approche de la flotte sicilienne, elle se retirait de nouveau dans l’intérieur du pays.

Cela n’empêchait pas le commerce de prospérer. les habitants de Djidjel se battaient pendant un jour ou deux et venaient échanger le lendemain, avec une extrême confiance, leurs produits agricoles et industriels contre les marchandises normandes.
Les Pisans, succédèrent aux Siciliens, et, pendant plus d’un demi-siècle, Djidjel fournit aux négociants de Pise une grande partie des cuirs crus qu’ils employaient dans leurs nombreuses tanneries. Attirés par les avantages que leur faisaient les marchands italiens, les Arabes de l’intérieur apportaient à Djidjel leurs meilleurs produits; mais bientôt la concurrence des Génois, les navigateurs les plus actifs du moyen âge, que les Pisans rencontraient partout dans les marchés de l’Orient, porta un coup fatal au commerce très lucratif que ces derniers faisaient à Djidjel.

Les Génois occupèrent ce point de la côte, dont ils se réservèrent à peu près le commerce exclusif. L’histoire ne dit pas à quelle époque ni de quelle manière eut lieu cette occupation.

Il est probable que les Génois obtinrent du roi de Bougie l’autorisation de fonder un comptoir à Djidjel et qu’ils s’y établirent si bien, qu’il devint plus tard impossible de les en chasser : ils étaient d’ailleurs coutumiers du fait.

Tronci raconte qu’en 1283, un navire marchand de Pise fut capturé par les Génois dans le port de Djidjel (in Zizari); ce qui semblerait indiquer qu’ils étaient déjà en possession de cette ville.

On trouve aussi dans une ancienne trêve des rois d’Aragon avec les souverains de Bougie, de l’an 1309, une clause particulière relative à cette occupation de Djidjel par les Génois.

« Les gens d’Aragon, dit ce traité, auront à Bougie et dans les autres villes du royaume les fondes qu’ils y avaient anciennement et les privilèges dont jouissent les Génois, à l’exception de la franchise que ceux-ci ont à Djidjel, ville de la côte.» 

Deux siècles plus tard, ils étaient encore les maîtres de cette position avantageuse, lorsque le fameux corsaire Baba Aroudj s’en empara (1514). Les habitants qui avaient sans doute à se plaindre des Génois, avaient eux-mêmes appelé les Turcs. Aroudj assiégea le château où la garnison s’était retirée, et l’emporta dans un assaut. Six cents Génois furent réduits en servitude, et un butin considérable fut partagé entre les soldats et les indigènes.


Cet événement n’eut aucun résultat fâcheux pour le commerce de Djidjel, et son port continua d’être fréquenté par les marchands européens. Les Génois eux-mêmes ne craignirent pas de s’y montrer de nouveau; mais les négociants de Marseille, au rapport de Gramaye, y faisaient à cette époque les meilleures affaires; ils en tiraient principalement de la cire et des cuirs. L’expédition du duc de Beaufort, en 1664, mit un terme à cette prospérité commerciale.

La ville de Djidjel est bâtie sur une pointe de terre qui se prolonge vers le nord. Le port, qui ressemble à celui de Tripoli de Barbarie, est défendu contre les vents d’ouest par la presqu’île; mais, du côté du large, il n’est qu’imparfaitement couvert par une ligne de rochers. Cette chaîne d’îlots, longue à peu prés de deux cent trente mètres, court vers l’est parallèlement à la côte. Pendant la belle saison, elle suffit pour protéger le port contre la puissance destructive des vagues; mais, dans les gros temps, la mer, se précipitant avec la plus grande violence entre les rochers et entraînant avec elle des pierres mouvantes, ne permet pas aux navires de séjourner dans la rade.

Au nord-ouest de la presqu’île, on remarque une crique assez profonde avec une plage commode; son ouverture est formée par quelques rochers. Ce petit port est le Mers-Chara des géographes arabes. Il sert aujourd’hui de chantier de construction(1).
.
« La position de l’atterrage de Djidjel, dit le baron Baude, lui donne une grande importance. On n’est pas obligé d’aller le chercher, comme ceux de Bougie et de Stora, au fond des baies où les caprices des vents mettent continuellement en défaut la vigilance des navigateurs. Placé sur un des saillants de la côte, il est sur le passage des vents réguliers du large, et les bâtiments y trouvent un abri, sans presque se détourner de leur route.»

Ce furent sans doute ces qualités de l’atterrage de Djidjel, ainsi que son voisinage de Constantine, qui déterminèrent, en 1664, la préférence de Louis XIV, lorsqu’il décida de poursuivre jus qu’en Afrique les corsaires barbaresques.
_______________
(1). Les habitants de Djidjel avaient autrefois la réputation méritée d’être d’excellents constructeurs de navires, en même temps que des marins très. habiles. Les embarcations qui sortent de ce port sont encore admirées aujourd’hui pour leur élégance et leur solidité.


Source:

« Le Commerce et la Navigation de l’Algérie » , PAR. F. ELIE de LA PRIMAUDAIE, P.110.

Revue algérienne et Coloniale ( Juin 1860).

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire