Les tremblements de terre en Algérie, du 21 août au 15 octobre 1856

 Analyse des documents recueillis sur les tremblements de terre ressentis en Algérie du 21  août au 15 octobre 1856; par M. H. De Senarmont

Earthquake Djidjelli 1856, tremblement de terre Jijel, جيجل زلزال — Une partie de l’Algérie a éprouvé du 21 août au 5 octobre 1856 des secousses de tremblement de terre violentes et multipliées dont les effets ont été désastreux sur quelques points du territoire.  Notre confrère M. le Maréchal Vaillant, Ministre de la Guerre, a fait recueillir sur ces phénomènes une suite de documents dont il a bien voulu me confier le dépouillement; cette Note en offre le résumé (1), et je me suis rigoureusement borné au rôle tout passif de rapporteur.

• Ces documents sont complètement d’accord sur l’ensemble sans l’être autant dans les détails. Quelques contradictions sont inévitables dans une enquête de ce genre ouverte après coup sur des faits qui n’ont pu être l’objet d’aucune constatation immédiate. Des souvenirs recueillis tardivement à des sources très-diverses ne sauraient être absolument comparables. Il faut remarquer, de plus, que les témoignages n’embrassent pas tous la même période du phénomène.

Earthquake Djidjelli 1856, tremblement de terre Jijel

 

• Centre d’ébranlement.  

— L’ébranlement souterrain semble avoir rayonné autour d’un centre d’action placé probablement sous la mer à quelque distance de Djidjelli

• Preuves. C’est en effet dans la région de Djidjelli, Collo, Philippe-ville que les secousses se sont manifestées plus violentes, plus nombreuses et plus persistantes.

 L’ébranlement ressenti au large et sur tout le littoral s’affaiblit d’ailleurs visiblement vers l’est jusqu’à La Calle, vers l’ouest jusqu’à Alger et plus encore au sud vers Sétif, Batna, Milah, Constantine et Guelma, à mesure qu’on s’avance dans l’intérieur, n° 8.

Earthquake Djidjelli 1856, tremblement de terre Jijel, جيجل زلزال

• Nombre des secousses. — Ainsi les deux commotions violentes du 21 et du 22 août sont presque les seules dont le retentissement arrive jusqu’à Alger, à Sétif, à Batna, à La Calle; les autres y sont douteuses ou tout à fait inaperçues. Déjà, au contraire, à Bône et à Bougie, on compte, du 21 au 25 août, environ cinq secousses ; mais à Philippeville, à Collo, à Djidjelli, on ne peut plus en préciser le nombre, et, du 21 août au 13 septembre et même au 15 octobre, douze à quinze commotions plus marquées se distinguent à peine au milieu des ébranlements à peu près continus qui se manifestent chaque jour pendant plusieurs semaines.

• Comparaison des désastres produits. — L’intensité décroît tout aussi manifestement à mesure qu’on s’éloigne du même centre.

Après les secousses du 2l et du 22 août, Djidjelli, Collo, Philippeville offrent des monceaux de ruines, n° 4, 6, 7, 8. Dans la banlieue de. Philippeville, les constructions les plus stables, les culées d’un pont par exemple, sont ébranlées et les matériaux en sont brisés, n° 4.

A Djidjelli, la tour Génoise s’écroule malgré la solidité de sa maçonnerie qui se détache en blocs énormes, n° 8. A Bougie, les désastres sont déjà moindres quoi-que un feu de port y soit presque renversé, n° 4; mais à Sétif, n° 10, à Batna, n°11 , à Constantine, à Guelma, à Bône, n° 1, 2, les dégâts se bornent à quelques maisons dégradées ou lézardées. Les cloches même ne se mettent en branle qu’à Guelma, n°’ 1, 2. Vers Alger et à La Calle, les dégradations sont absolument nulles, n°’ I, 2, 3.

• Accidents du sol. – Les accidents du sol circonscrivent à leur tour nettement le phénomène.

» Dans la banlieue de Philippeville, principalement vers l’ouest, des roches qui bordent les routes se fendent et s’éboulent, n° 4, 6. Des crevasses de 1 mètre à 1m50 de largeur sur 5 à 6 mètres de longueur s’ouvrent et vomissent parfois des eaux, souvent même des eaux chaudes chargées de sable ou de vase exhalant une odeur sulfureuse, n° 4. Quelques sources anciennes disparaissent, un plus grand nombre se forment et persistent au moins pendant quelques semaines. Les rivières se gonflent subitement, et au bout d’un mois n’ont pas encore repris leur régime normal, n°’ 4, 5, 6, 7.

Autour de Djidjelli des gerbes d’eau et des éruptions d’une vase sulfureuse forment dans les dunes et dans la plaine, de Chekfa au Beni-Ider, de petits cratères boueux. Des vapeurs enflammées s’échappent, dit-on, pendant un moment, de plusieurs crevasses dans les montagnes que longe l’Oued-Missia, n° 8. Le sol se fissure en divers lieux, notamment à la grotte dite des Pigeons près du rivage. Deux failles étroites, parallèles à la côte, s’ouvrent dans la ville et persistent avec une dénivellation de 10 à 15 centimètres, n° 8.

Aux environs de Bougie, on ne signale plus dans le sol qu’un petit nombre de fentes aussitôt refermées, n° g. Dans la banlieue de Sétif, on remarque à peine un trouble momentané de quelques sources et de courtes perturbations dans leur régime, n° 10. Enfin, dans le cercle de Bône, il ne se produit aucun effet appréciable de ce genre. »

Tsunami

• Phénomènes en mer. – Au large, à 15 milles environ N. 7° E. de Djidjelli, par une mer profonde, l’aviso à vapeur le Tartare ressent la secousse du 21 août avec une extrême violence. Beaucoup d’objets sont déplacés à bord, les hommes ont peine à rester debout, et le capitaine consigne immédiatement sur le livre de bord qu’il a dû toucher sur un navire flottant entre deux eaux, ou éprouver, pendant vingt-cinq secondes, un violent tremblement de terre, n° 12.

• Sur toute l’étendue de la côte et par un temps calme, les secousses du 21 et du 22 août sont accompagnées d’un ras de marée très-inégal clans ses effets.

A Bône, la mer monte d’ 1 mètre et inonde pendant douze heures une partie du champ de manoeuvres, n° 1, 2, 12. A Philippeville, elle s’abaisse subitement de 0m 60, n° 7;

A Djidjelli, elle s’élève à 2 ou 3 mètres, et reprend presque aussitôt son niveau, mais elle bouillonne continu-ellement pendant trois jours, n°8, 10.

A Bougie, elle monte à 5 mètres et retombe après cinq ou six grandes oscillations comparables au flux et reflux, n° 4, 12.

• Tous ces phénomènes démontrent surabondamment que les ébranlements sont partis d’un centre. Le doute ne serait guère admissible que pour les dernières secousses d’octobre dont les heures et les dates ne paraissent pas les mêmes partout, et dont l’énergie aurait été à Batna plus marquée qu’en divers antres points, et aussi grande qu’à Philippeville, n° 6, 7, 11.

Direction des secousses. — eût été intéressant de retrouver dans la direction des secousses la divergence rayonnante qui doit caractériser tout ébranlement parti d’un centre, mais les appréciations de direction sont toujours fort incertaines. S’il est vrai d’ailleurs que le centre d’ébranlement fût assez éloigné, les directions ont dû partout se rapprocher du parallélisme.

» Les témoignages sont ici très-contradictoires alors même qu’ils s’appliquent à une seule localité ; ainsi on trouve mentionnés les azimuts :

La majorité signale l’orientation N.-E.-S.-O.; cet azimut parait s’accorder également avec la disposition générale des dégradations, n° 6, 7, et à Sétif est à peu près constatée par les oscillations pendulaires imprimées aux lampes des cafés, n° 10.

A Constantine, d’après M. Maevus, l’opinion commune faisait courir l’action souterraine du N.-N.-E. an S.-S.-0. Après avoir installé dans la matinée du 22 août un pendule dont la pointe devait laisser sa piste sur du sable, cet ingénieur a observé la direction azimutale N.-E.-S.-O., compliquée par d’autres traces plus ou moins inclinées à la première, et qui s’en éloignaient presque de 90 degrés, n° 3.

• Il semble donc que même en admettant un mouvement principal à peu près parallèle à lui-même, il faut reconnaître des tressaillements secondaires qui lui étaient superposés et se dirigeaient en sens divers.

• Presque tous les observateurs distinguent aussi, dans les grandes com-motions, les soubresauts verticaux des oscillations horizontales, ces dernières demeurant seules perceptibles quand les commotions commencent à perdre de leur intensité.

• Absence de tout phénomène météorologique. – L’ébranlement du sol ne paraît avoir été précédé, accompagné ou suivi d’aucun phénomène électrique particulier. Nulle part on ne signale de lueurs, ni un état de l’atmosphère qu’on puisse regarder comme insolite en Algérie. Quelques observateurs ont au contraire soin de remarquer que le baromètre et la boussole n’ont éprouvé aucune perturbation, et que les animaux n’ont manifesté aucun pressentiment de la catastrophe, na 3, 10, 12.

• Bruits souterrains. – Partout les secousses ont été annoncées par des bruits souterrains précurseurs: on les compare quelquefois à des décharges d’artillerie; plus souvent aux roulements sourds et prolongés du tonnerre ou d’un lourd convoi de chariots sur une route pavée.

• Ces détonations, sans cesse renouvelées, n’étaient pas d’ailleurs toujours suivies de nouvelles secousses, n°’ 5, 8. On entend quelquefois de pareils bruits, sans aucun phénomène appréciable de tremblement de terre, dans les montagnes des Béni-Sliman, au sud-est de Bougie (1).

• Effet des commotions sur le régime des eaux. – Une des circonstances les plus remarquables et en même temps les mieux constatées des tremblements de terre de 1856 est leur effet immédiat et général sur le régime des eaux superficielles et souterraines.

• Ainsi, pour ne rappeler ici que les faits précisés par des mesures, on a vu aux environs de Bougie des ruisseaux complètement à sec devenir immédiatement capables de faire tourner leurs moulins, n° 9.  Du 20 août au 2 septembre, le débit des sources qui alimentent la ville s’est élevé de 18 à 30 litres par minute, n° 5.  A Constantine, il, a passé de 68 à 72 litres, n° 5. Un ruisseau complétement à sec , l’Oued-Akkar, débitait encore 30 à 40 litres au 2 octobre, n° 5. •

» A-Stora la source des citernes fournissait, le 20 août, 1 litre par minute; le 22 août elle en donnait 16  et en débitait encore 11 litres le 7 septembre, n° 12.

» Le 22 août le Saf-Saf croit en quelques secondes de 15 à 20 centimètres, n° 4, et sur certains points l’irruption des eaux chaudes est si subite, que des laveuses ont à peine le temps de fuir et laissent entraîner une partie de leur linge, es 6, 7.

» A 2500 mètres au sud de Philippeville, sur la propriété Poupart, une gerbe d’eau jaillit brusquement à 1m50 au-dessus de l’orifice d’un puits, n »4 4, 6.

» Tous ces phénomènes, bien qu’accidentels et momentanés, sont évidemment liés à la constitution normale des courants d’eau souterrains dans toute la province de Constantine. Un grand nombre de sources (Enchir-el-Hammam, Hammàm-Meskoutin, Constantine, Ain-Ras-el-Hammâm, etc.,) offrent de tous côtés un écoulement naturel à d’énormes quantités d’eaux thermales, dont l’abondance même n’est peut-être pas sans quelque rapport avec l’espèce de prédisposition aux tremblements de terre, qui paraissent pour ainsi endémiques dans ces contrées.

• Emanations gazeuses. —Des émanations gazeuses ont sur quelques points évidemment accompagné les dislocations du sol. Sans même parler ici de l’odeur sulfureuse, de la projection en gerbe des sources accidentelles et temporaires chargées probablement, comme beaucoup de sources thermales permanentes, d’hydrogène sulfuré et d’acide carbonique, n°’ 3, 4, 6; la longue ébullition de la mer à. Djidjelli, n° 8, suppose nécessairement un dégagement de gaz, et les feux follets des montagnes de l’Oued-Missia, en admettant leur réalité, ne pourraient guère s’expliquer que par l’inflammation momentanée de l’acide sulfhydrique, de l’hydrogène carboné, ou des vapeurs de pétrole, n° 8.

Influence absolument nulle de la constitution géologique du sol. — L’énergie des commotions s’est d’ailleurs montrée tout à fait indépendante de la constitution géologique du sol. Les roches cristallisées du littoral n’ont été ni plus ni moins ébranlées que les terrains stratifiés des massifs montagneux de l’intérieur. Divers observateurs, n° 3, 8, font même la remarque expresse que les constructions élevées sur les couches de transition, sur les grès tertiaires, ou même sur les alluvions, ont été indistinctement atteintes ou épargnées.  On n’a remarqué nulle part sur le littoral que le rivage ait changé de niveau d’une quantité appréciable, n° 3.


 Notes :

Comptes rendus des séances de l’académie des sciences, T.44, P 586, 1857

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