Le territoire des Beni-Caïd s’étend sur un vaste périmètre (1) qui, s’élevant rapidement du rivage vers le mont Mezghitan (2) au Sud-Ouest, le dépasse largement, est borné par la côte à l’Ouest, trouve ses limites avec l’oued Kissir au Sud-Ouest, les Beni Ahmed au Sud, l’oued el-Harch au Sud-Est, et, à l’Est, conflue à la commune de Duquesne et aux fermes de la colonisation européenne. C’est une masse, mais dont le contour est dentelé dans sa partie orientale.
(1) Il compte 6 Km du Nord au Sud, 8 Km d’Est en Ouest dans ses plus grandes dimension.
(2) El-Idrissi en fait mention dans en Itinéraire de Constantine à Bougie : » De Djidjelli on rend au cap de Mezghitan à Dzair El Affia… » Mezghitane, dans le folklore des Beni Caïd est interprétée comme un nom de femme. Parfois appelé Lalla Mezghitan, le sommet de l’éminence considéré est lieu de pèlerinage des Béni Caïd.
Ces échancrures sont la marque des remaniements, des amputations (1) et des limitations (2) subies à diverses reprises par le pays qaïdi au cours du siècle dernier.
Comptant 135 familles en 1885 (3), 200 environ en 1931, les Beni Caïd constituent à l’heure actuelle une circonscription municipale de la commune de Djidjelli à laquelle on donne le nom officiel de douar . Mais, dans les conversations entre autochtones où est évoqué le passé, où des vues sont échangées sur les liens familiaux, les rapports sociaux, les attitudes collectives, c’est le terme Q’bila « tribu » qui appareil dans les bouches, celui qui ressort comme de lui-même. Et, de fait, le douar administratif « dépersonnalisé » recouvre bel et bien une tribu dont l’individualité, amoindrie sans doute, n’est pas abolie. Elle compte dix mechtas, d’importance à peu près égale (deux cent trente habitants en moyenne).
(1) Au titre du rachat de séquestre collectif (consécutif à l’insurrection de 1871), 400 hectares de la propriété indigène ont été abandonnés au profit de la colonisation (Archives de la municipalité de Djidjelli).
(2) les travaux de la commission d’enquête chargée en 1880 d’opérer la constitution de la propriété des Béni Caïd, ont abouti en 1885 au plan des communaux qui occupent environ un quart du territoire du Douar.
(3) chiffre donné par les Archives de la municipalité. Féraud évalue à 250 fusils l’effectif guerriers des Beni-Caïd à l’époque de la conquête.
Les noms officiels qu’elles portent présentement offrent un assemblage assez disparate d’éléments fournissant des notions divers.. Les uns désignent des fractions de tribu et sont traditionnels : Ouled Taleb, Ouled Aïssa, Ouled Damon, Ouled Tafer, Ouled Bounnar (1). Les autres sont des toponymes : Dar el-Haddada » demeure des forgerons » Jerf (falaise, berge ravinée), Boughedir (terrain marécageux ), Oulja (zone plane dans la boude d’un cours d’eau), Thar (dos, croupe). Mais, en y regardant de plus près, l’enquêteur constate entre la nomenclature officielle et l’onomastique dont usent entre eux les indigènes une différence notable : dans la seconde, des patronymes remplacent les noms de lieux dits que l’initiative administrative a introduits dans la première (2).
Chez les Beni Caïd, le sentiment de l’unité tribale est, comme souvent ailleurs, nettement présent dans les esprits, mais d’action limitée sur le comportement social. Il n’a pas pour fondement, la chose mérite d’être signalée, l’interprétation généalogique d’une convention, procédant d’un état d’esprit biologique, proprement la croyance à une même origine et la reconnaissance d’un ancêtre éponyme (3).
(1) Twalbiyya, Aissawiyya, Dwâmna, Twâffra
(2) Soit: – Achmêlliwân (Bouchemella), Ahrad (Haroud, Harid) pour Dar El-Haddada; Ûlad-ben-Ali, pour Al Jerf; Ûlad-si-Ali pour Boughdir; Lwânssa (Lounis, Benyounes) pour Oulja; Z’âmna (Benzâïmen), Qwasma (Belqacem), Sbât (Bouchebout, Chebouti), Qwârta (Benqirat), pour Thar; ..Actuellement il y a en tout trois forgerons à travers. le territoire des Beni Caïd, dont un installé Dar el-Haddada.
(3) À l’heure présente, les Beni Caïd n’ont pas la m0indre idée, d’un ancêtre commun. Les questions qui leur été posées à ce sujet leur ont paru simplement saugrenues. Il y a plus de quatre-vingt, ans, la même notion devait paraitre assez imprécise puisque Féraud, cf Gigelli. p. 87, note seulement : « D’après la tradition orale, leur ancêtre serait un nommé Moussa, du Djebel Babor, dont le descendants prirent plus tard le nom de Ben I-Qaïm, c’est-à-dire les fils du puissant, du fort, du redoutable, et enfin, par corruption sans doute, celui de Beni Caïd »
D’actes par quoi il s’affirme, on citera dans le domaine religieux le pèlerinage à deux sanctuaires, ceux du Mezghitan et de Bou Youder. Il fait partie du rituel de toutes les fractions, dont chacune, comme on le dira plus loin , possède son santon local auquel elle rend un culte particulier. Dans le domaine juridique, il semble établi qu’à une époque antérieure les Beni Caid ont possédé une codification de la coutume comparable à celle que nous offrent les kanouns kabyles analogue aux spécimens recueillis il y a quatre-vingt-dix ans par Féraud dans d’autres régions de la Kabylie orientale. Naguère encore des vieillards pouvaient en citer quelques articles. Ils n’en donnaient au reste que la substance. Du texte précis où en figurait sans doute l’expression consacrée ils n’avaient pas le souvenir. L’une de ces dispositions légales concernait l’infraction au règlement de la cueillette des olives (1). Or ce règlement est aujourd’hui encore pleinement en vigueur. Nul ne doit procéder au ramassage des fruits avant la date fixée par l’accord des chefs de famille de la tribu.
(1) « Celui qui cueille des olives avant l’ordre de la djemaâ, on lui tue une vache« , Voici les deux seuls articles, qui nous ont été donnés en outre : « Celui qui se rase la barbe ou la moustache, on lui tue une vache.. » « Celui qui tue quelqu’un doit ceder une fille à la famille de la victime.« . Cette dernière proscription concerne la pratique du « Zwaj am-maâtiyya« … « mariage de la fille donnée (à titre de la Diyya « , telle que Fa décrite Féraud .r. 186,, p. 281, …. Cette pratique n’a actuellement plus cours dans la région de Djidjelli, non plus que celle du Zwaj-el-jdi.. »mariage du chevreau ».
Une courte notice sur les Beni Khettab (Ouest de Djidjelli), datant de 1867, figure dans les archives de la commune mixte de Djidjel, Elle souligne le rôle important que jouaient les Jemâas dans cette tribu, et la persistance de la coutume en 1850. Tout porte à croire que l’état de fait signalé à cette époque chez les Beni Khettab, existait également dans les Beni Caid et dans les autres tribus de la région. : » Les Jemâas présidées et convoquées par..le cheikh étaient appelées à délibérer sur toutes les questions d’intérêt général. Elles infligeaient des amendes dont le montant était employé à certains travaux d’utilité. publique, tels qu’aménagement de sources, entretien de mosquées construction de gourbis pour écoles coraniques. Elles réglait suivant la coutume les affaires. de meurtre, de vol, de mariage, de divorce, etc«
La dechra de la montagne djidjellienne compte de deux à douze constructions distantes l’une de l’autre de quelques métres ou de quelques dizaines, dont chacune s’isole par un endos de broussaille ou une haie de cactus.
Dans les intervalles qui les séparent serpentent des sentiers. Parfois un ou plusieurs autres groupes d’habitations semblables, éloignés d’une centaine de métres, constituent d’autres éléments de la même fraction. La dechra n’est qu’un hameau ou un groupe de hameaux. Ceux qui la peuplent se répartissent en un certain nombre de familles généralement unies les unes aux autres par les liens d’une parenté souvent réelle, parfois peut-être fictive, ou d’une alliance, ou d’une vie en commun maintenue pendant plusieurs générations (1).
(1) Voici le décompte des familles par fraction :
Ouled Taleb, 12 familles; Ouled Aissa, 18 familles; Ouled Damoun, 6; Ouled Tafer, 23; Ouled Bounnar, 7; Dar el-Haddada, 13; Jerf, 10; Boughedir, 14; Oulja , 2; Thar, 11.
Cette évaluation est basée sur l’onomastique, chaque nom inscrit sur les rôles du caïdat de Djidjelli-douar étant arbitrairement considéré comme correspondant à une unité familiale. La réalité sociale est infiniment plus complexe, parce que :
— d’une part, le mémo patronyme peut-être porté, avec différenciation (prénoms, sur-noms), par plusieurs chefs de familles indépendantes; — d’autre part, les variantes dans les noms de famille peuvent recevoir une consécration officielle de l’état civil, sans pour autant constituer; du point de vue social, des critères d’individualité familiale.
C’est ainsi que chez les Ouled Taleb, les Boutaleb, Boutalba, Talbi; chez les Ouled Aissa, les Aissani, Nisani, Aissaoui; chez les Ouled Tafer et à Boughedir, les Abad. Abdou, Abdi, Abid, etc., peuvent, suivre les cas, représenter des cellules familiales différentes, ois bien des individus offi-ciellement individualisés, mais socialement intégrés dans une seule et méme cellule.
Le recensement opéré en vue du recouvrement de l’impôt comptait en 1931 : 466 chefs de familles, 525 femmes, 750 enfants mâles et vieillards, 939 fillettes ou vieilles femmes ( 2.839 au total).
Les habitations sont le plus souvent des masures de pierres sèches, enduites intérieurement d’un bousillage d’argile mélée de crottes d’animaux et de paille hachée, et couvertes de dis (pl. 1, 1). C’est là, peut-on dire, le type traditionnel. Mais on trouve aussi dans les dechras de simples huttes en branches (pl. 1, 2), et, au contraire, en nombre croissant depuis quelque vingt ans, des batisses maçonnées et pourvues d’un toit de tuiles (p1.1, 3).Dans ces maisonnettes, de ces chaumières et de ces cabanes, tout habitant peut dire quelle fut celle où vécut son grand-père, son arrière-grand-père, et, pour les plus récentes, indiquer l’ordre des constructions.
Le culte des saints.
Chaque dechra possède un ou plusieurs modestes sanctuaires où sont honorés un ou plusieurs santons portant des noms arabes ou berbères, les uns facilement interprétés, les autres énigmatiques (1). On y vient réclamer l’assistance de ces illustrations strictement locales. On y prèle serment. Les femmes y accomplissent les rites d’un culte élémentaire dont, comme ailleurs, des fumigations, des allumages de bougies constituent l’essentiel.
(1) Soit pour les Ouled Teleb, El Batah; pour les Ouled Aissa, Benharbi, Si Sâadallah, Sidi Messâoud; pour les Ouled Damoun, Annaren, Sidi Rihan; pour les Ouled Bounner, Akellal; pour Dar el-Haddada, Bouârada, Ahrad, Azrar, Sidi Saïd; pour Jerf. El-Bsir, pour Boughedir., Sidi Braham, Achbat; pour Oulja, Sidi Abdounour; pour Thar , Sidi Ali t-Taiyar, Sidi Salem, El-Eubbad. Certains de ces santons portent des noms qui sont ceux de quelques familles de fractions. (comme Ahrad, Achbat…).
L’ensemble des collectivités de l’actuelle commune mixte de Djidjelli.
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Textes arabes de Djidjelli, Philippe Marcais