Le Rachidi (1911 -1914) : le journal de Jijel

Le Rachidi

Le Rachidi est l’œuvre d’un groupe de cinq personnes, ayant 34 ans de moyenne d’âge, note Abderahim Sekfali, appuyé par quelques «indigénophiles».

Le Rachidi, le journal jijel, HadjamarLes liens politiques et familiaux ont contribué à consolider le groupe composé de trois intellectuels, Abdelaziz Abdelaziz, Badri Ferhat et Fergani Boudjemaâ, dit Bachir, et de deux commerçants, Benkhellaf Abderahmane, dit Ahcène, et Hadjamar Mohamed, dit Hamou. Ce dernier est considéré comme le plus illustre. Il a été un proche de l’Emir Khaled, et a même dirigé l’Ikdam-Rachidi après la fusion des deux titres. Avec ce noyau, on retrouvera aussi les trois instituteurs, les frères Kiniouar, Mohamed et Ferhat et Bouguessa Kacem.

Mohamed Hadjamar Se présentant comme un organe indépendant d’union franco-musulmane et des intérêts djidjelliens dans sa période allant du 6 janvier 1911 au 26 janvier 1912, il s’intitulera, depuis cette dernière date et jusqu’à son dernier numéro (13 novembre 1914), Organe des intérêts indigènes et d’union franco-musulmane.

Paraissant le vendredi, le journal est tiré sur  quatre pages. L’étude des thèmes développés dans Le Rachidi, faite par Abderahim Sekfali, montre la prédominance des questions liées à l’enseignement des indigènes et aux réformes politiques.

Dénonçant la désorganisation de l’enseignement des indigènes, les chroniqueurs du Rachidi s’en prennent au gouverneur général et au délégué financier, en déclarant que:

«jamais peut-être depuis l’occupation française, les actes arbitraires, les injustices les plus criantes ne se sont multipliés avec autant de cynisme dans l’administration académique depuis l’arrivée à Alger de M. Ardaillon, jamais l’enseignement – celui des indigènes – n’a traversé une crise interne aussi grave que celle qu’il subit actuellement». 

La question de la conscription a aussi constitué un thème contre lequel des articles hostiles ont été publiés dans Le Rachidi. Des pétitions contre la conscription ont été publiées sans compensation.

Quelques mois après la parution du décret du 3 février 1912, établissant une conscription  avec un service de 3 ans pour les musulmans, Le Rachidi a mené, en mai de la même année, une campagne sur le thème «Pas de service militaire sans compensation», ou encore  «Egalité avec nos frères français».

Dans son édition du 28 juin 1912, Le Rachidi, sous la plume de Numéa Léal, prévient :

«Pour que la conscription militaire en Algérie nous donne pleine et entière satisfaction, il faut que nous fassions quelque chose pour les indigènes. Ceux-ci veulent être traités avec plus d’humanité, plus de justice. Jamais revendications ne furent plus dignes et plus légitimes.»

C’était un journal particulièrement sévère pour les délégués indigènes au sein des délégations financières. Il est, par ailleurs, reproché à l’administration coloniale de privilégier les illettrés fortunés, ayant des liens maraboutiques, aux indigènes qui ont suivi des cours du cycle secondaire ou supérieur. Les critiques envers les concitoyens sont légion.

Ainsi, dans l’édition du 29 décembre 1911, celles-ci s’attaquent au président de la section arabe des délégations et ses semblables, qui sont traités «d’assoiffés de décoration, d’agenouillés, couverts de décorations et de vêtements superbes»,  qui ne se doutent pas que «lorsqu’on les voit passer, l’épithète vendu monte de toutes les bouches».

Le Rachidi , Jijel, Hadjammar

 

Commentant la nomination au poste de cadi, à Guelma, de Sehili Taïeb, l’organe de Jijel note dans l’édition du 8 mai 1914, que «ce notable agenouillé, délégué financier, chevalier de la Légion d’honneur, est arrivé par ses intrigues à décrocher un poste convoité». Le Rachidi ne s’empêchait pas ainsi de ridiculiser les suppôts du colonialisme, à l’instar de ce bachagha et grand officier de la Légion d’honneur, membre de la Chambre d’agriculture et de Commerce de Constantine, traité, dans l’édition du 17 mai 1912, de «vieux turban qui ne cherche qu’à servir ses intérêts personnels et à obtenir des décorations». Qualifié d’incapable, «qui n’occupe même pas son siège dans les assemblées où il est élu», le journal lui dénie le titre d’élu de Constantine, en lui précisant : «Seul votre or vous donne un titre que vous ne méritez pas».

Gilbert Meynier révèlera dans son livre, qu’une bonne partie des rédacteurs du Rachidi «sont d’ailleurs des Européens de la ligue des droits de l’homme». Le Rachidi du 29 décembre 1911 décrira Dominique Luciani, directeur des Affaires indigènes comme un «ennemi implacable et vindicatif», en réponse à la fermeté des délégués européens. Naturellement, en cette période, la presse indigène, écrira Zohir Ihaddaden, a voulu jouer le jeu de la légalité en faisant l’intermédiaire entre le gouvernement français et les masses algériennes. Il remarquera aussi que la période durant laquelle Le Rachidi a existé, une certaine tolérance avait caractérisé l’administration coloniale vis-à-vis de la presse indigène qui avait pris son élan et se développait normalement.
 

Fodil S.

El Watan

Bibliographie :

– Le Rachidi : journal de Jijel, bastion du mouvement Jeune Algérien, Abderahim Sekfali (Revue d’histoire Maghrébine, mai 1999) ;
– Un Parlement colonial : les délégations financières algériennes – Jacques Bouveresse ;
– L’Algérie révélée – Gilbert Meynier
– L’histoire de la presse algérienne, des origines à 1930 – Zohir Ihaddaden


يرجع تاريخ إنشاء أول صحيفة للجزائريين في مدينة جيجل إلى عام 1911 تحت عنوان « الرشيدي » من طرف محمد حاج أعمر المدعو « حمو » (1880-1932) بمساعدة أصدقاءه :

عبد العزيز عبد العزيز (1877-1951)

، بدري فرحات (1872-1945)،

فرقاني بوجمعة (1875-1933)،

بن خلاف عبد الرحمن المدعو « أحسن » (1881-1947)،

كينوار فرحات (1864-1927)

و كينوار محمد (1871-1929)

و كذا بو قصة قاسم (1876-1918)

 


 

l’IKDAM 

Parcours d’un journal «indigène»

 

Il y a 100 ans, le 7 mars 1919, l’imprimeur, Sadek Denden, et le commerçant, Mohamed Hadjammar, dit «Hamou», créent, à Alger, 18, rue Eugène Robe (actuellement Mustapha Allouche, Bab El Oued), L’Ikdam, un organe de défense des intérêts politiques et économiques des musulmans d’Afrique du Nord. Sadek Denden (1869-1938), né dans la région de l’ex-Bône (Annaba), était déjà le fondateur, en 1909, du journal L’Islam dans sa ville, avant de le transférer à Alger en 1912, alors que Hamou Hadjammar (1880-1932), natif de Djidjelli (Jijel) était cofondateur dans sa ville de l’hebdomadaire Le Rachidi, en 1911, qui disparaîtra en 1914, en même temps que L’Islam.

l'Ikdam , Jijel, Hadjammar

Dans le premier numéro du nouvel hebdomadaire, les codirecteurs, Sadek Denden et Hamou Hadjammar, écrivent : «Après quatre années d’interruption volontaire de L’Islam et du Rachidi, due uniquement aux difficultés d’ordre matériel et à la mobilisation d’une grande partie de notre personnel, nous avons décidé, au prix de gros efforts, de la réapparition de nos journaux. Nous avons décidé également de la fusion de ces deux organes en un seul que nous intitulons : ‘‘L’Ikdam’’». Les deux anciens titres (L’Islam et Le Rachidi) étaient mentionnés en sous-titre. Proches de l’émir Khaled, ils étaient considérés comme affiliés au mouvement des Jeunes Algériens. Hamou Hadjammar avait déjà fait partie en 1908 de la délégation conduite par l’avocat Ahmed Bouderba et comprenant aussi Ahmed Bourkail, qui a rencontré à Paris le président du Conseil, Georges Clémenceau, pour protester contre le projet du gouvernement d’étendre le service militaire obligatoire aux indigènes de l’Algérie et défendre le principe d’«à charge nouvelle, droit nouveau».

A compter de son 5e numéro, daté du 5 avril 1919, L’Ikdam ne fait plus référence à sa première année, il décide de passer à la 2e série et de mentionner «sixième année», comptabilisant ainsi le parcours antérieur des deux journaux avant leur fusion. A l’occasion des élections municipales du 30 novembre 1919 à Alger, la liste de Mustapha Hadj Moussa, dans laquelle s’étaient notamment portés l’émir Khaled, Hamou Hadjammar et Mohamed Kaïd Hammoud, est toute entière élue. Parlant de «la leçon d’un scrutin», Hadjammar écrit dans L’Ikdam du 4 décembre 1919 : «La bataille électorale dans la capitale de l’Algérie a eu lieu, on peut le dire presque uniquement sur la situation créée aux indigènes par la loi du 4 février 1919. Cette loi, qui accorde plus de facilités pour la naturalisation de nos coreligionnaires que le sénatus-consulte de 1865, a été envisagée par quelques-uns comme la panacée devant mettre fin à tous les maux dont souffrent les indigènes, en engageant toute la collectivité musulmane à demander l’accession aux droits des citoyens français.»

Et d’ajouter : «Quoi qu’il en soit, la population indigène s’est nettement prononcée : vox populi, vox dei. Elle ne veut pas renoncer à son statut personnel, non par fanatisme, comme on semble le faire entendre, mais par tradition, par respect pour les mœurs et les coutumes consacrées par des siècles de vie musulmane.» Cette élection, à laquelle avait participé Sadek Denden dans une liste rivale conduite par Ahmed Bouderba, ne sera pas sans conséquences sur la codirection du journal. Bouderba et ses colistiers prônaient une naturalisation, avec l’abandon du statut personnel, alors que celle de Hadj Moussa refusait la répudiation de ce statut.

Dans le même numéro précité, Hamou Hadjammar annonce que «le présent numéro est le dernier paraissant avec les noms des deux directeurs en manchette. En effet, les candidatures au Conseil municipal nous ayant séparés, la plus élémentaire probité politique commande cette séparation». A la reprise de la publication, le 5 mars 1920, après une éclipse de près de 3 mois, elle sera dirigée par Hadjammar seul, et ce, jusqu’au lancement, dans ses nouveaux locaux du 12, rue de la Lyre (actuelle Ahmed Bouzrina), de la 3e série, avec un nouveau n°1 daté du 10 septembre 1920, où Hadjammar redeviendra codirecteur, cette fois-ci, avec Kaïd Hammoud, alors que Ahmed Balloul, agrégé universitaire, assure la rédaction en chef.

l'Ikdam, Emir Khaled

Aux élections du 9 janvier 1921, la liste émir Khaled triomphe aux élections municipales d’Alger, avec notamment Kaïd Hammoud, Dr Tamzali et Hadjammar, comme colistiers. Dans son édition du 14 janvier 1921, L’Ikdam félicite et écrit que «c’est donc la liste de l’émir Khaled qui est réélue toute entière» et que «devant ce résultat, que tout commentaire affaiblirait, nous nous demandons ce que les détracteurs de l’émir Khaled pourront dire encore ? Il est grand temps, pensons-nous de se mettre au labeur et de laisser de côté ce vieil épouvantail panislamique qui n’est plus qu’une vieille arme usée et dont les coups ne portent plus». Cette codirection se poursuivra jusqu’au mois de juillet 1921, puisqu’à compter du numéro daté du 22juillet, la direction revient une fois encore à Hadjammar, avec l’émir Khaled comme rédacteur en chef pour la partie en arabe. Mais dès le mois septembre, la direction politique est reprise par l’émir Khaled, qui reprendra dès le mois suivant Ahmed Balloul comme rédacteur en chef.

L’hebdomadaire existera avec cette nouvelle direction jusqu’au mois d’avril 1923, soit peu de temps avant son exil vers l’Egypte. De cette période, Jacques Bouveresse(1) écrit que «Hadjammar et Kaïd Hammoud ont relancé en février 1925 L’Ikdam, dont la direction est confiée à l’avocat Haddou. Ces trois personnages, élus conseillers municipaux d’Alger en 1929, donnent de 1925 à décembre 1930 au nouvel Ikdam une orientation favorable à la politique officielle d’assimilation». Après une nouvelle éclipse, le journal renaît de ses cendres à El Biar, sous la codirection de Sadek Denden et de Dr Mohamed Salah Bendjelloul, qui éditent en date du 14 mars 1931 le numéro 1 d’une nouvelle série.

Quelques jours après la disparition de Hamou Hadjammar, L’Ikdam lui rend hommage en page Une de son édition du 1er août 1932, en écrivant qu’il était «doué d’un esprit méthodique et puissamment lumineux, d’un caractère éminemment combatif, désintéressé et généreux, il créa en 1910, en pleine bataille engagée contre le colonialisme, le ‘‘Rachidi’’ à Djidjelli, son pays natal, et mena la lutte à nos côtés, renforçant non moins énergiquement notre vigoureuse et audacieuse action avec toute la fougue et la compétence d’un militant dont la foi dans le succès final de nos revendications était son seul et unique idéal», ajoutant quelques lignes plus loin qu’«il n’a jamais failli à ses devoirs de défenseur de la cause des nôtres, car, disait-il, dans ses moments fort rares de découragement : «Tôt ou tard, la justice immanente aura toujours et quand même le fin mot en toutes choses ici bas.»

La codirection Denden-Bendjelloul cessera dès la fin du mois d’août 1933, et c’est Sadek Denden qui reprendra seul la direction à compter du numéro du 1er septembre 1933, avant de prendre Georges Grandjean en qualité de rédacteur en chef dès le deuxième numéro de ce même mois. Cette équipe dirigera l’hebdomadaire jusqu’au début de l’année 1935. Le dernier numéro de la nouvelle série portant le numéro 71 est tiré à la date du samedi 26 janvier 1935 sous la seule direction de Sadek Denden, qui disparaîtra quant à lui en juillet 1938.

Fodil S

El Watan ( mars 1919)


 

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