La Charte ( Kanoun) de la Djemâa en Kabylie orientale.

Le 15 juin 1860, la colonne expéditionnaire de la Kabylie orientale pénétrait au coeur du pays des Béni Khettab, principaux instigateurs de la révolte qui avait éclaté et établissait son camp sur le Djebel Tafortas, le chauve, dont la cîme (1251 mètres) marque en effet le commencement de la zone où la végétation ne peut atteindre..

Le 19 juin, une colonne légère de quelques bataillons sans sacs poussait une reconnaissance vers le pic de Sidï-Mârouf où, assurait-on, les rebelles s’étaient retirés avec leurs familles et leurs troupeaux.

Charte El-Milia, Djidjelli, Jijel

Le Sidi Maârouf est un immense rocher aride, plein d’anfractuosités, surmonte de plusieurs dentelures aux formes bizarres que nos troupiers, dans leur langue pittoresque, ont baptisé dû nom de: Cornes du diable, Il se détache de tous côtés par des ravins, des précipices et des abîmes d’une profondeur prodigieuse, qui se perdent sur les bords de l’oued Haïa, affluent de l’oued,el-Kebir.— il.n’est relié au système du djebel Bou-Touïl, dont le Tafortas est le point culminant, que par un col rocailleux très étroit.

Vers le couchant et au pied du rocher qui se dresse à pic, un bouquet d’arbres, arrosé par une belle source, forme une oasis au milieu de laquelle existe, sous un gourbi en dis, le tombeau de Sidi Maroûf (1), marabout vénéré qui a donné son nom à là montagne.

Au moment de; notre arrivée, les abords du gourbi étaient encore garnis d’un grand nombre de vases, de plats et de tasses en poterie, qui avaient sans doute servi quelques jours avant à la Zerda (2) ou assemblée solennelle dans laquelle se décida l’attaque et le pillage dé l’établissement forestier de MM. Bocq et Delacroix, près des béni Meslem. Du côté opposé au gourbi, vers le point où le petit col rocheux fait sa jonction avec le pic de Sidi Mârouf, existent des grottes naturelles que lés insurgés avaient abandonnées peu avant notre arrivée.

Nos éclaireurs pénétrèrent dans ces cavernes et y trouvèrent quelques pots de beurre et des outres remplies de couscous. Dans un coin et au milieu d’un tas de chiffons et de guenilles, un zouave découvrit plusieurs tubes en roseau renfermant des papiers roulés. Ces papiers n’avaient aucune importance : c’étaient pour la plupart de simples notes de grains prêtés, des témoignages recueillis pour des affaires d’intérêt…etc; enfin, j’y trouvai le document, curieux, à mon avis, dont je vais donner la transcription textuelle avec une traduction.

(1) La légende de Sidi Màrouf ne rapporte rien de remarquable (.La tradition a perdu le Souvenir des miracles de ce saint homme, venu dit-on. de Bagdad où il existe encore des oratoires, qu’aurait. fondés. On dit seulement que le bruit du canon se fait entendre à Sidi Mârouf chaque’ fois qu’un événement extraordinaire doit survenir. Lors de l’expédition du bey Osman, dans l’oued el-Këbïr (1804);’ cette canonnade, surnaturelle, aurait fait retentir tous les échos de la vallée.

(2).Les Kabiles et même les Arabes entendent par Zerda, une.réunon solennelle sur la tombe d’un marabout vénéré quelconque, où, après avoir délibéré et pris une décision sur une affaire en.projet, tous les assistants participent à un repas pour cimenter leur union. A la suite de ce banquet, tous les convives jurent par la mémoire du marabout et الملح و الطعام. la nourriture et le sel mangés en commun, d’accomplir ce qui a été décidé. Ces Zerda avaient ordinairement lieu pour combiner une prise d’armes, organiser une insurrection, ou cimenter la paix entre deux tribus réconciliées, après une longue lutte.

 

Ce document, ou plutôt ce fragment, car il est malheureusement trop succinet, est relatif à un règlement ou Kanoun établi par la djemâa des- oulad Barche (1), fraction de la tribu des béni Aïcha.

Après la pacification de la Kabilie Orientale, vers le mois d’août 1860, lorsque toutes les tribus se présentaient à notre camp pour y recevoir nos ordres et être organisées d’une manière régulière, je montrai ma trouvaille de Sidi Mâarouf à plusieurs membres des djemâa;— on më dit que ces sortes de réglements étaient en effet en usage dans leurs tribus et qui y faisaient loi.

 

Charte, Kanoun Kabylie orientale

(1) Oulad Barche; probablement corruption du mot Ouled M’barek; le Kaf s’étant transformé en Chin.

Charte Kabylie orientale

L. FÊRAUD, Interprète de l’armée.


Source : Revue africaine , N34 , 1862, P. 272

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