Zouadj el- Djedi زواج الجدي et zouadj el-Ma’at’ia زواج المعطية

Avant la création de nos circonscriptions judiciaires, c’est-à-dire l’installation de kadis dans les tribus, les habitants de la Kabilie orientale se mariaient selon la Âda ou coutume de leurs ancêtres. Ces mariages étaient de deux sortes :

  1. Pour le Zouadj el-Djedi, le mariage au chevreau, on égorgeait un chevreau comme pour sceller les conditions acceptées par les familles (1). Le mari s’engageait à payer au père de sa femme une dot dont la quantité variait entre 70 à 90 bacetta (175 à 225 fr.)  Bien souvent il ne possédait point cette somme, mais il comptait sur ses amis pour la réaliser. En effet, au jour indiqué pour la noce, tous les amis accouraient, suivis de leurs femmes et de leurs enfants, chacun apportant son offrande pour le nouveau couple. Les teboul et les zerna (tambourins, clarinettes) retentissaient, et quelques guerriers de la troupe, leur fusil à la main, dansaient ou plutôt exécutaient toutes sortes de gambades en chantant et faisant parler la poudre.

Si le nouveau ménage n’avait pas de maison, les amis venaient encore à son aide, les uns coupant des perches ou pétrissant le torchis, les autres apportant du dis [slipa tenaeissima, espèce de graminée) ou des planches de liège destinées à couvrir la nouvelle habitation.

(1) Les Indigènes n’ont su me donner aucune explication sur l’origine du Zouadj Djedi qui serait, disent-ils, de la plus haute antiquité. C’est peut-être un. usage payen qui remonte à l’époque de la domination vandale, romaine ou numide. Je ne possède pas les éléments nécessaires pour faire des recherches à ce sujet. Mais pour faciliter celles que pourrait entreprendre la Société historique, je dois dire qu’il existe un grand nombre de ruines antiques dans tonte la partie de la Kabilie orientale compris eentre le Babor et l’Edoug.—A Fdoulès,est l’inscription qui fait mention de la grande;tribu berbère des Ketama; près de là, se trouvent les.ruines d’établissements romains. Sur le plateau d’el-Aroussa,chez les Béni Ftah, sont encore des ruines romaines, ainsi que le monument druidique dont j’ai signalé l’existence à la Société, en 1860′.J’ai vu également des ruines romaines chez les Béni Khetlab, -les Béni Habibi, les KcniMeslem,etc. Chezles OuladAli,est la grande ruine dite Médina di- Boutou.Chez les BéniToufout est le grand poste de Arta di Sedma.Non loin de la route de Collo à Philippeville,on m’a signalé d’autres monuments druidiques. Du reste, tous ces vestiges antiques feront l’objet d’une notice et d’une carte indicative que j’adresserai à la Revue.

 

Par le fait du mariage Djedi, la femme était non-seulement la propriété de son mari tant que vivait celui-ci, mais encore, après sa mort, elle faisait partie de l’héritage et devenait la propriété des héritiers. A cette occasion, il se passait une scène qui mérite d’être rapportée , Dès que le mari avait cessé de vivre, celui des héritiers qui le premier jetait un Haïk, un burnous, un linge quelconque sur la tête de la veuve, en devenait propriétaire par ce fait, sans contestation de la part de ses co-héritiers. Si elle avait des enfants, ceux-ci étaient élevés dans la maison de son nouveau maître qui gérait ce que leur avait laissé leur père jusqu’à ce qu’ils atteignissent l’âge viril.Si le mari était mécontent de sa femme, eût-elle contracté des infirmités depuis son mariage (1), eût-elle en quelque sorte perdu de sa valeur première, il avait le droit de la renvoyer dans sa famille et d’exiger la restitution intégrale de la somme payée en dot. Le mari gardait toujours-les enfants s’il en avait eu de la femme répudiée.

 

2 / L’autre mode de mariage se nommait, comme nous l’avons dit, Zouadj Maâti’a, mariage de la femme donnée.

Voici dans quelles circonstances il avait lieu : lorsqu’un meurtre avait été commis, le coupable était condamné par la djemaâ à payer la Dia s’élevant à mille francs environ. Celui-ci, ne pouvant réunir la somme nécessaire, ce qui avait presque toujours lieu, se libérait en donnant une fille de sa famille, ainsi que 50 bacetta, dites Hak el-Kefen, prix du linceul du défunt.

Cette fille maat’ia devenait plutôt l’esclave de la femme de l’individu auquel elle était donnée. Malgré les mauvais traitements dont elle pouvait être victime, malgré les pénibles travaux auxquels on pouvait l’astreindre, il fallait qu’elle vécût et qu’elle mourût dans  la nouvelle famille dont elle était la propriété exclusive; le sang avait payé le sang!

Quoique sortant du cadre que je me suis tracé, je crois pouvoir mentionner ici un usage des: montagnards de l’Aourès, ces kabiles du Sud de la province de Constantine. Mon intention est de donner ici un aperçu comparatif de la condition de la femme chez ces peuples berbers.

Lorsqu’une femme, entraînée par les conseils d’un amant, voulait abandonner le toit conjugal; elle employait le moyen en usage nommé la guerba, l’outre. Elle se rendait, comme d’habitude  à la fontaine pour y faire sa provision d’eau ; là, elle soufflait et emplissait d’air sa peau de bouc qu’elle abandonnait aux abords fontaine; puis elle allait rejoindre son amant. Le mari abandonné ne tardait pas à s’apercevoir de l’absence de sa femme : la peau de bouc remplie devant lui expliquait clairement son départ.

Dès qu’il connaissait le nom du ravisseur, il se rendait chez celui-ci en armes, accompagné de ses frères et amis. Il fallait que l’amant préféré restituât immédiatement la dot ou que mort d’homme s’en suivît. La dot payée, l’honneur était satisfait et là femme restait chez son amant .

– Mon collègue, M. Hénôn, qu’un long séjour à Biskra et Batna a parfaitement initié aux moeurs des Berbers de l’Aurès, m’a raconté le fait suivant : Si un mari se dégoûte de sa femme et convoite celle de son voisin, il propose un échange à ce dernier. Le troc, s’il est avantageux, s’opère sans difficultés, moyennant une compensation en argent pour la femme plus vieille ou moins jolie.

Les cas d’adultère-étaient très-rares dans la Kabilie orientale, parce qu’au moindre soupçon d’infidélité, le mari coupait la gorge à sa femme sans qu’il eût à craindre les poursuites de la famille. Je ne parle pas de la justice, puisqu’aucune autorité n’avait mission d’y veiller. La djemaâ considérait le meurtrier comme suffisamment puni par la perte de la somme que lui avait coûté sa femme. Si une-jeune fille avait été promise en mariage à un Kabile et que l’appât du lucre eût poussé le père de celle-ci à manquer à sa promesse, pour la donner à un autre, le jeune homme dédaigné et tous les siens se considéraient comme profondément, blessés dans leur amour-propre.

On prenait les armes, il s’en suivait souvent des luttes acharnées, des alternatives de revers et de-succès de part et d’autre, jusqu’à ce que l’un des partis lâchât pied et donnât satisfaction à ses adversaires en abandonnant ses prétentions sur la femme en litige. .

« C’était le bon temps! disent encore quelques vieux Kabiles: nous étions indépendants, chacun était son maître [Soultan rasou, sultan de sa tête]; l’homme courageux ne craignait personne, il tuait sans pitié son ennemi, — la vie d’un homme n’était pas plus appréciée que celle d’une mouche ! » (textuel)

Le plus grand outrage, le plus grand châtiment qu’on puisse infliger à un Kabile est d’incendier sa maison; non point que cette maison représente une valeur importante, mais parce qu’à sa conservation, au respect qu’on a en quelque sorte pour elle, se rattache un sentiment d’indépendance ou d’àmour-propre. Chez ce peuple arriéré, passionné et sans frein, ce mode d’insulte était souvent employé pour assouvir une vengeance qu’on n’osait avouer dans la crainte de représailles où la vie était en jeu.

Si le propriétaire d’une maison brûlée parvenait à reconnaître la main d’où partait l’offense, il s’en plaignait à sa djemaâ. Alors, si le coupable appartenait à une autre tribu, il y avait prise d’armes et combats; s’il était de la tribu même, la djemaâ se transportait à sa demeure, commençait par la réduire en cendres, puis faisait abattre ses bestiaux, qui étaient donnés en difa.

Lorsqu’un incendie accidentel consumait une maison, qu’un ouragan détruisait une récolte ou qu’une épizootie décimait ou enlevait un troupeau, tous les frères de la tribu venaient au secours des victimes du sinistre.

«Les ventes de terres, d’oliviers ou de jardins étaient rares entre Kabiles ; ils préféraient les mettre en gage, رهينة »., pour leur valeur approximative. Le prêteur en jouissait jusqu’à ce que son débiteur ou ses héritiers restituassent la somme prêtée.

 

 L. FÊRAUD, Interprète de l’armée.

Constantine,juillet 1882.


 

Source : Revue africaine , N34 , 1862, P.279

 

 

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