Le 21 aout 1856, l’un des plus forts séismes jamais ressenti sur les côtes d’Afrique du Nord ruine la presque totalité de la ville de Djidjelli (aujourd’hui Jijel) au nord-ouest d’Alger. Aucune archive photographique n’avait été retrouvée pour témoigner de cet épisode jusqu’à l’apparition sur le marché de l’art d’un ensemble de quarante-trois tirages photographiques, réalisés entre janvier 1856 et 1857, acquis par le musée de l’Armée en 2015.
Ce corpus anonyme rapporte l’évolution architecturale de la ville et le rôle assumé par le génie militaire dans sa reconstruction.
Belkassem (ben Menia ?) bel Labaoud, Si Ahmed Tounsi
Chose rare, on retrouve dans cet ensemble les premières photographies de rues identifiées en Algérie pour les années 1850-1860. Temps de pose oblige, ce type de sujet est à cette époque peu pratiqué. Dans L’Algérie photographiée de Moulin[1], les vues extérieures ne témoignent jamais de présence humaine et les nombreux portraits de généraux, lieutenants et autres personnalités influentes locales s’exécutent toujours en huis clos, dans une cour intérieure, un bureau arabe, voire une école. S’agissant des tirages de Djidjelli, les portraits sont quasi-systématiquement réalisés en extérieur et insistent particulièrement sur la cohabitation pacifique entre l’armée et la population locale. Le (ou les) photographe(s) reprodui(sen)t ainsi à plusieurs reprises des scènes d’entente cordiale (poignées de mains entre gradés et chefs de tribus, soldats marchant seuls dans les ruelles, etc.) dont la spontanéité apparente mérite d’être questionnée.
Djidjelli (ville ancienne), porte et tour génoise avant le tremblement de terre.
Cette représentation idéalisée de la vie en communauté traduit pareillement une volonté de montrer la maîtrise totale du territoire et des populations kabyles, réputées les plus rebelles. En 1856, l’armée vient en effet tout juste de reprendre la main sur la région après la violente intervention, en 1851, du général de Saint-Arnaud à la tête d’une troupe de 8500 soldats.
Mais les insurrections perdurent et obligent le général Randon (nouveau gouverneur de l’Algérie depuis 1853) à multiplier les expéditions punitives[2]. Le contexte historique de production de ces images oblige ainsi à questionner les motivations de leur création, et le statut de l’auteur lui-même. Militaire ou civil ?
Djidjelli (l’ancien) Place Napoléon après le tremblement de terre,
En effet, encore trop rares sont les reportages photographiques retrouvés intacts sur l’Algérie du Second Empire.
Anissa Yelles
Chargée de récolement, département iconographie
Collection: musée de l’armée, Invalides.
[1] Félix Jacques Antoine Moulin, (1802-1879), L’Algérie photographiée : Province d’Alger/Province d’Oran/Province de Constantine, 1856-1857
[2] Voir Charles-Robert Ageron, “La politique kabyle sous le Second Empire”, dans : Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 53, n°190-191, premier et deuxième trimestres 1966, p. 69.
Image 1 : Djidjelli : Belkassem (ben Menia ?) bel Labaoud, Si Ahmed Tounsi, épreuve sur papier salé, 1856, H. 14,6 ; L. 22,4 cm, Inv. 2015.6.32
Image 2 : Djidjelli (ville ancienne), porte et tour genoise avant le tremblement de terre, épreuve sur papier salé, 1856, H. 15 ; L. 20,7 cm, Inv. 2015.6.4
Image 3 : Djidjelli (l’ancien) Place Napoléon après le tremblement de terre, épreuve sur papier salé, 1856, H. 22,5 ; L. 14,5 cm, Inv. 2015.6.23