Il y a quelque temps, les habitants du village de Taden, dans le douar des Djezia (Oued Z’hor), découvrirent, sous les oliviers qui avoisinent le village, un petit canon que les eaux de pluie avaient mis à jour en ravinant le sol. L’émotion fut assez vive chez les Ouled-Athia qui ne se connaissaient pas d’artillerie, et qui regrettèrent sans doute que la découverte ne se fût pas produite en d’autres circonstances, à l’époque où ils guerroyaient encore contre les Roumis.
Parmi les vieillards de la tribu, nul ne se souvenait qu’un canon fût resté enfoui sous les oliviers de Taden, à l’endroit le plus fréquenté pourtant de tout le territoire des Djezia. Aussi les racontars allaient-ils leur train ; et, l’imagination aidant, le canon défraya pendant plusieurs jours les conversations. On rendit compte à l’autorité, qui le fit transporter jusqu’à la plage de l’oued Zhour, où il fut chargé sur une gondole de passage à destination de Collo.
La pièce en question est en cuivre, et pèse 190 kil. Sa longueur exacte est d’un mètre ; son diamètre intérieur, à la gueule, de 0mll ; sa circonférence extérieure, la plus forte, un peu en arrière des tourillons., est de 0m74. Les anses sont brisées. Près de la gueule on remarque une petite figure en relief un peu fruste, qu’on serait tenté de prendre pour une fleur de lis. Les dimensions et le poids de cette pièce ne semblent pas indiquer que ce soit une pièce d’artillerie française, de celles du moins qui ont été en usage depuis l’occupation du pays.
Le point où elle a été trouvée est cependant situé sur le chemin suivi par la première colonne qui a traversé les Ouled-Athia en 1852 pour aller de Collo à El-Milia en coupant la vallée de l’oued Zhour. Peut-être provient-elle du pillage de quelque bateau échoué aux environs de l’embouchure de l’oued Zhour, qui est à une dizaine de kilomètres de Taden, Mais ce pourrait être aussi un reste de l’expédition dans laquelle un bey de Constantine fut tué en 1804.
C’est surtout en raison de la probabilité de cette dernière hypothèse que cette découverte m’a paru mériter d’être signalée aux lecteurs de la Revue africaine.
D’après les renseignements des indigènes, il existe un un autre canon dans la tribu des Beni-Ferguen, clans la même vallée de l’oued Zhour, à l’ouest des Djezia : celui-là serait en bronze, et sert d’enclume à un forgeron arabe.
El-Djezia, théâtre de la lutte entre Ben El-Harech et Bey Osman (El- Bey Laouar ).
Dans son Histoire de Constantine sous la domination turque (Recueil de la Société archéologique de Constan-
satine, année 1869, page 477), M. Vayssettes relate que le bey, dans son expédition de 1804, avait avec lui quelques pièces de campagne. Or il est constant qu’après sa défaite, elles ne purent être sauvées et durent rester entre les mains des habitants victorieux. De la vallée de oued El-Kebir où le Bey tomba sous leurs coups, ils voulurent sans doute transporter à Oued Zhour celle qui a été retrouvée à Taden, où elle aura roulé sur la pente qui borde le chemin.
Le territoire des Djezia et celui des Beni-Ferguen sont peu éloignés du théâtre de la lutte qui s’engagea entre les troupes du bey Osman , plus connu sous le nom d’El- Bey Laouar (le borgne) et les partisans de Si Mohammed
El-Boudali ben El-Harech (1). Le récit de cette lutte et l’exposé des causes qui l’avaient provoquée ont été donnés ici même par M. Féraud. (V. la Revue africaine, tome 13, page 211 et s.).
(1) Je donne ici le nom tel que le prononcent encore les Ouled-Athia. Ben El-Harech, qui, comme tous les agitateurs musulmans, se prétendait chérif, c’est-à-dire descendant du prophète, avait dû prendre le nom de Mohamed ben, Abdellah, et s’annoncer comme étant le Mehdi, le réformateur musulman dont l’apparition précédera la fin du monde.
Le souvenir de Ben El-Aharech s’est conservé chez les Ouled-Athia qui étaient au nombre de ses partisans.
La première fois que ce personnage parut dans leurs montagnes, il conduisait des prisonniers chrétiens et s’arrêta chez les Ziabra. Un nommé Braham ben Bounour, du village de M’zeta, dans la vallée de l’oued Tizer- ban, au nord de l’oued Zhour, se rappelle avoir entendu dire à son père., qu’il avait été désigné comme assès (gardien) pour surveiller les prisonniers.
Il racontait que ces malheureux souffraient tellement de la faim qu’ils dévoraient avidement des morceaux de courges vertes qu’on leur jetait. La seconde fois Ben El-Harech vint chez les Ouled-Athia pour recruter des volontaires et préparer son expédition contre la ville de Constantine, dont il ne réussit pas à s’emparer, bien que de nombreux montagnards, eussent répondu à son appel. Blessé et poursuivi dans sa fuite il se réfugia chez les Beni-Ferguen, dans la famille Ben Souilah, dont l’un des membres exerçait encore, il y a quelques années, les fonctions de cheikh.
Plus tard, à l’approche du bey, Ben El-Harech, soit qu’il doutât de la fidélité des Beni-Ferguen, soit que leur territoire, malgré sa nature très accidentée, ne lui parût pas un refuge assez sûr, traversa l’oued Zhour et se sauva au village de Djarrah, dans le douar des Ziabra, où les Ouled-Mbarek, fraction des Ouled-Bouhermeg, lui offrirent l’hospitalité.
Sa nouvelle retraite ne laissait rien à désirer, et il était désormais à l’abri de toute atteinte. D’une part, l’intrépidité reconnue des Ouled-Athia, et leur esprit d’indépendance, le garantissaient de toute trahison. En outre, la petite vallée de l’oued Zhour, profondément encaissée entre de hautes montagnes abruptes et couvertes d’épaisses forêts, était à peu près inaccessible aux troupes du bey.
En admettant même qu’elles eussent pu y péné la trer en franchissant les rares passages qui coupent chaîne du Djebel Boubazil, le village de Djarrah, adossé à la montagne sur le versant opposé et entouré de ravins, était très facile à défendre.
Les Ouled-Athia, s’attribuant naturellement de beau rôle, prétendent que le bey avait semé l’argent dans les
tribus pour se faire ouvrir des chemins, et qu’il avait même réussi à corrompre les Beni-Ferguen qui s’étaient engagés à lui livrer le chérif; mais les Ouled-Athia avertis, se rendirent en masse au col qui met en communication le territoire des Beni-Ferguen et celui des Beni-Belaïd, et alors les choses changèrent de face.
Après un combat très meurtrier,, les troupes du bey furent décimées, et lui-même fut tué : son corps fut laissé sur place aux Beni-Belaïd, et sa tête fut portée à Ben El-Harech, à Djarrah, par un nommé Athman ben Arnira, des Ouled-Athia.
Les Ouled-Athia se battirent avec acharnement, et si l’on en croit leurs descendants, ce fut leur intervention énergique qui décida de la victoire. On cite encore dans la tribu les noms de plusieurs des leurs qui périrent ben pour le en combattant, entre autres un certain Bouarrès Dahehar, du village de Tamedda, qui passait pour le guerrier le plus intrépide de la région. Il est vrai que, suivant une autre version, ce même Bouarrès aurait été tué par derrière, dans la mêlée, par un de ses ennemis de la tribu, nommé Ben Abd Errezek ; ce qui prouverait que les Ouled-Athia, tout en faisant les affaires de Ben El-Harech, ne négligeaient pas les leurs. Ce qui tendit à accréditer cette version, c’est qu’on trouva sur le cadavre de Bouarrès une bourre de racine de palmier-nain, dont les indigènes du pays se servent encore aujourd’hui pour charger leurs armes.
D’après les indications recueillies par M. Féraud, Ben El-Harech aurait épousé, à Djarrah, une jeune femme d’une grande beauté. Personne aujourd’hui, aux Ouled- Athia ne se souvient avoir entendu parler de ce mariage.
Les indigènes y racontent cependant l’histoire de Ben El-Harech avec une foule de détails si précis, qu’il semble extraordinaire qu’ils aient pu oublier celui-là. D’autre part, tout ce qui touche à leurs généalogies offre pour eux un intérêt de premier ordre, et ils en conservent précieusement le souvenir. Le partage de certaines terres et de la récolte des oliviers qu’ils possèdent en indivision depuis des temps très reculés, s’effectue toujours d’après les ramifications survenues dans la descendance de l’auteur commun.Il est donc permis d’élever quelques doutes sur le prétendu mariage de Ben El-Harech, et de n’y voir qu’une légende.
Le chérif visita, dit-on, une troisième fois la tribu des Ouled-Athia. Le but de son voyage était de faire une quête qui fut très fructueuse. Mais on prétendit que le nouveau venu n’était qu’un imposteur qui avait pris le nom de Ben El-Harech. Il ne semble pas que cela eût une influence sur l’accueil qu’il reçut, puisqu’il fut hébergé par le cheikh des Ouled-Djamâ, Sad ben Djamâ, et qu’il se rendit de là chez les Ouled-Hamidech ; une brillante fantasia fut exécutée en son honneur sur le plateau d’Aguelmam, la limite des tribus des Ouled-Athia et des Ouichaoua. On y remarqua beaucoup un cavalier du douar Djenah, nommé Ben Barama (1).
On a qualifié de révolte et d’insurrection la tentative contre de Si Mohammed El-Boudali ben El-Harech Constantine, et le mouvement qui entraîna à sa suite des contingents nombreux. Cela paraît inexact en partie. Si l’agitation qui avait pris naissance dès le jour où Ben El-Harech s’était établi à Djidjeli, s’étendit à plusieurs territoires qui reconnaissaient l’autorité des beys de Constantine, il est certain que beaucoup de ses partisans venaient de diverses tribus qui vivaient dans une complète indépendance. De ce nombre étaient les Ouled- Athia, c’est-à-dire les habitants de tout le versant ouest du djebel Goufi et de la vallée de l’oued Zhour.
Dans le voisinage de Collo les seules tribus à peu près soumises étaient celles des Beni-Toufout et des Beni-Ishak. Les premiers, qui forment actuellement les trois douars de Zeggar, El-Ouldja et Beni-Zid, obéissaient en majeure partie à deux cheikhs qui recevaient l’investiture du bey ; l’un était membre de la famille Ben Nini, dont les descendants ont occupé ou occupent encore diverses fonctions administratives dans le pays; l’autre, Ben Guermous, habitait non loin de l’emplacement du marché qui se tient le jeudi sur le bord de l’Oued Aflassen, à deux heures environ au sud de Collo.
Les Beni-Ishak qui composent le douar d’Arb-El-Goufi, avaient pour principale obligation de fournir une sorte de Karasta, comme les habitants des environs de Djidjeli; ils apportaient, dans la plaine de l’Oued Cherka, des approvisionnements de bois d’oeuvre et de construction que l’on transportait de là à Constantine, en traversant le djebel Guern-Aïcha et le passage de Sidi-Sama, qui sépare les Beni-Toufout des Beni-Salah.
En 1830, peu de temps avant la prise d’Alger, ils avaient même dû fournir des pièces de bois de chêne zéen ou de chêne afarès, destinées à être expédiées par mer à Alger, et qui durent être abandonnées à Collo lorsqu’on y apprit l’occupation de cette ville par l’armée française.
Les autres tribus du massif qui, formant une sorte de presqu’île, se termine par le cap Bougarone, les Ouichaoua, les Ouled-Hamidech et les Ouled-Athia, vivant dans des montagnes presque inaccessibles et très boisées, échappaient à l’action des Turcs; souvent même ils se réunissaient pour tenter un coup de main contre la tranquille population de Collo
Source : D.LUCIANI , Revue africaine, 1889, P.296
Polémique autour d’un canon ottoman à El-Milia
Une vive polémique s’est installée entre des défenseurs du patrimoine culturel local à El-Milia et des responsables de la direction de la culture de la wilaya de Jijel autour d’un canon appartenant à l’ère ottomane. Cet objet historique est le symbole de l’insurrection contre l’occupation française de Bellahrache, déclenchée en 1803-1804 dans la région.Depuis sa découverte dans la région de Beni Ferguene, à une trentaine de kilomètres au nord-est d’El-Milia, il y a une année, et son acheminement à Jijel pour être exposé au musée Kotama, des citoyens se sont élevés contre ce transfert. Ils veulent l’exposer au centre-ville d’El-Milia, plutôt que d’être transféré à Jijel.
L’association « Al-Amel de Beni Ferguene » a saisi officiellement la direction de la culture pour le retour de ce canon dans la ville d’El-Milia. Mais les autorités estiment que ce canon représente un patrimoine national et non local, refusant ainsi de le retransférer dans cette localité.
Ecrit par : Amor ZOUIKRI
2020-02-28
Source : www.liberte-algerie.com