Cette désastreuse retraite coûta quatorze cents hommes, trente pièces de canon de fonte, quinze de fer, et plus de cinquante mortiers.
Lors de notre débarquement à Gigelli, en 1839, nous avons retrouvé plusieurs de ces canons (de l’expédition de 1664, ndlr) couchés et abandonnés sur la plage; on les a ramassés et déposés dans un magasin de l’artillerie, où on peut les voir à côté d’autres débris de ferraille, de boulets et de fragments de cuirasse, n’ayant d’autre valeur que celle qui se rattache à leur provenance.
Et à ce propos, nous devons ajouter que, par les objets mêmes de cette époque conservés par les indigènes, nous pouvons nous rendre à peu près compte du nombre d’ennemis que Gadagne eut sur les bras. En effet, l’annonce d’un débarquement des chrétiens et l’appel à la défense du territoire durent attirer, devant Gigelli, les contingents de tout le massif des montagnes qui s’étendent de Bône à Bougie.
Entre les mains Kabiles, j’ai vu souvent des lames de sabre, forme dit briquet, avec ces mois gravés : Gardes ou bien Royal. L’un d’eux m’a donné un sceau en fer du diamètre d’un décime, portant un écusson chargé de
dix billettes posées 4, 2, 4, autour duquel on lit : Charles de Beaumanoir (1)
Les canons de la Kalaâ des Beni-Abbas proviennent en partie de ceux laissés à Gigelli par les Français ; c’est encore une preuve démontrant que les populations de cette région, bien qu’habitant à plus de quarante lieues du théâtre de la guerre, vinrent prendre part à la lutte et, après le départ des Français, emportèrent chez eux un trophée de leur victoire.
Seulement, ces canons durent être amenés par eau jusqu’à Bougie, et traînés ensuite de là jusqu’à la Kalaà, en remontant la vallée de l’oued Sahel. L’un d’eux porte gravé sur la culasse un L dans une couronne royale, et toute la volée de la pièce est recouverte de fleurs de lis.
D’autres objets tout aussi curieux, et qui pourraient bien être ce que j’appellerai des ex-voto de guerriers musulmans revenus sains et saufs de la guerre contre les Français de Gigelli, ont élé trouvés par M. le commandant Payen dans la mosquée de Sidi El-Djoudi, chez les Beni-Yala.
Ces dépouilles opimes, sortes de reliques de la guerre sainte, suspendues contre les murs de la chapelle, consistent en casques, cottes de mailles et épées. L’une de ces épées porte des caractères gravés sur les deux faces de la lame ; on lit d’un côté : SOLI DEO GLORIA VLNCERE AVT MORI, avec un écusson dans lequel est dessiné un cygne avec ces mots autour : VIRTVS TVNERI SVPERSTIS, 1037; sur l’autre côté de la lame : PRO ARIS ET FOCIS FIDE SED CVl VIDE; — le reste est illisible, effacé par la rouille.
J’ai vu également entre les mains d’un Kabile une plaque ronde en cuivre, d’un diamètre double de celui d’une pièce de cinq francs, servant probablement d’ornement à une armure. Sur cette plaque, était gravée l’image d’une cigogne ayant une couronne de comte passée dans le cou. — Le bec tenait une banderole avec ce mot : FORTVNA, en caractères gothiques.
Enfin, dans la salle des trophées de la division de Constantine, où sont déposées les armes prises à l’ennemi pendant les expéditions de nos troupes, depuis que nous sommes maîtres du pays, sont déposées plusieurs longues épées qui datent incontestablement du temps de Louis XIV.
(1) J’ai donné ce sceau au musée d’Alger.
HISTOIRE DES VILLES DE LA PROVINCE DE CONSTANTINE PAR L. Charles FÉRAUD,