Première tentative d’établissement des français en Algérie -Jijel (1664).

Récit très véritable de ce qui s’est passé à Gigery en 1664.

– Relation de M. de Castellan datée de Gigery du 25 octobre 1665.Djidjelli, Jijel, Gigeri, Gigery
– Deuxième relation de M. de Castellan après son retour de Gigery.
– Relation faite au roy par le comte de Gadagne.
– Les cinq cents de Colbert. T.121,122, 123.
– Les archives de la marine, campagnes : T. II.

Au XVII siècle, notre marine marchande était, dans la Méditerranée, l’objet d’attaques incessantes de la part des pirates d’Alger et de Tunis. Ces hardis forbans venaient jusque dans les eaux de la France, faire d’audacieux coups de mains et, grâce à la légèreté de leurs navires, ils échappaient presque toujours à nos poursuites. Les croisières faites, chaque année, sur les côtes barbaresques n’avaient que des résultats sans importance; la présence d’une escadre française interrompait leurs courses pendant quelques jours; mais les corsaires reprenaient hardiment la mer, dès que les vaisseaux du Roi avaient disparu à l’horizon.

Le cardinal Mazarin (1) ayant donné à la France la tranquillité à l’intérieur et la paix à l’extérieur, se préoccupa d’assurer d’une manière efficace la sécurité de notre commerce maritime. Il résolut d’aller fonder sur la côte d’Afrique un établissement militaire important.

Son but était de substituer à des croisières accidentelles et de peu de durée, une surveillance permanente exercée par une escadre, dont notre futur établissement africain serait le point de départ, de ravitaillement, et lui offrirait un abri pendant la mauvaise saison.

Mazarin chargea, du soin d’aller étudier sur les lieux le point de la côte le plus avantageux pour un semblable établissement, un ingénieur, du plus grand mérite, le chevalier de Clerville (2). C’était une des créatures du cardinal.

Depuis 1647, il avait dirigé presque tous les nombreux sièges de l’époque. En 1658, le roi avait créé en sa faveur la charge de commissaire général des fortifications et réparations des villes de France. Cette charge importante et unique fut, à la mort de Clerville, donnée à Vauban, son élève.

Le chevalier de Clerville pouvait d’autant mieux remplir la mission qui lui fut confiée, en 1660, qu’il parlait les langues orientales. Afin de n’éveiller aucun soupçon et de pouvoir tout examiner pendant son voyage, il se travestit en marchand. Il affréta un navire, dont le patron connaissait parfaitement la côte d’Afrique. Il acheta un passeport, qu’un Marseillais avait obtenu du pacha de Bône, changea de nom et prit si bien l’air et les manières d’un négociant que personne, pendant tout son voyage, ne soupçonna la mission dont il était chargé.

(1) – Julio Mazarini, né à Piscina, eu Sicile, le 11 juillet 1602, diplomate au service du Pape, fut distingué par Richelieu qui le retint en France. Louis XIV montra toujours pour lui la plus grande considération et ne prit personnellement la direction des affaires qu’après sa mort, survenue à Paris le 9 mars 1661.
(2) –  Louis-Nicolas chevalier de Clerville, ingénieur militaire, commissaire général des fortifications et réparations des villes de Francs.

Djidjelli, Jijel 1664

 

De Clerville vint droit à Alger. Il s’arrêta en face de cette ville assez de temps pour en relever les fortifications. De là, suivant la côte vers l’est, il arriva à Bougie, dont la situation, dominée par une montagne (le Djebel Gouraïa), ne lui parut pas convenable pour un établissement militaire.

Il se rendit ensuite à Gigery , dont le port lui fut signalé comme dangereux pendant la saison d’hiver. Il reconnut, en passant, le mouillage de Stora, et enfin vint jeter l’ancre devant Bône.

Le pacha qui avait signé son passeport était mort, il fallut parlementer et acheter à deniers comptants la protection de son successeur. Cette première difficulté vaincue, de Clerville fit consciencieusement son métier de marchand ; descendu à terre pour débiter sa pacotille et acheter les produits du pays, il recueillit avec soin des renseignements sur les ressources de Bône et de ses environs, et sur les différents points de la côte que la prudence l’empêchait de visiter.

Bône lui parut réunir toutes les conditions que recherchait le cardinal. Il rapporta de son voyage un mémoire sur tout ce qu’il avait vu, accompagné de plans et de dessins, concluant au choix de Bône, comme le point de la côte sur lequel il convenait de s’établir.

A l’époque du retour de Clerville, le cardinal Mazarin était déjà. fort malade et sentait sa fin prochaine. Il dut se borner à recommander à Louis XIV de mettre à exécution un projet dont le résultat serait de détruire la piraterie dans la Méditerranée et de développer le commerce maritime de la France. Ce ne fut que trois ans après la mort du cardinal que l’expédition fut décidée, c’est-à-dire au printemps de 1664. César de Vendôme 2, fils légitimé d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées, était alors amiral de France, mais il ne naviguait plus; il était vieux, malade et devait mourir l’année suivante. Son fils, le duc de Beaufort, qui avait la survivance de sa charge, apprenait depuis peu son métier d’amiral. Ce fut lui que Louis XIV chargea du commandement de l’expédition d’Afrique.

 

Le point de la côte sur lequel on devait se diriger fut discuté entre Louis XIV, Colbert et le duc de Beaufort. Ce dernier, qui avait croisé dans ces parages l’année précédente, combattit les propositions du chevalier de Clerville, relativement au choix de Bône. Colbert était aussi fort effrayé des dépenses considérables que devaient entraîner les fortifications d’une ville aussi importante et la création d’un port.

Beaufort insista pour le choix de Gigery; d’après lui, le port pouvait être amélioré à peu de frais, en reliant entre eux, par une jetée, les rochers qui prolongent la presqu’île sur laquelle est bâtie la ville.

Son avis fut malheureusement adopté. Gigery n’était qu’un repaire de pirates, adossé à un massif montagneux considérable, sans production, sans ressources d’aucune espèce et peuplé des tribus les plus belliqueuses de la côte. La possibilité de créer un port à Gigery n’était pas douteuse; mais ce port, quoique d’une étendue d’environ 50 hectares, présentait des bas-fonds sur sa plus grande surface, et ne permettait aux vaisseaux de mouiller par 8 à 10 brasses que dans une zone très restreinte.

Le choix de Bône eût été autrement favorable. Le mouillage du fort Génois ne nécessitait aucune dépense, et la création d’un bassin et d’un port de commerce 2 près (le la ville n’était pas nécessaire pour l’établissement militaire que l’on projetait. Enfin, derrière la ville, s’étendait de vastes plaines, couvertes de céréales, de pâturages et de bestiaux. Tandis qu’a Gigery, on ne pouvait rien tirer du pays pour la subsistance des troupes et des vaisseaux, Bône était un marché ouvert à tous les produits d’une vaste et fertile contrée.

Enfin, à Gigery, les Kabyles pouvaient, du haut de leurs montagnes, surveiller tout ce qui se passerait dans les établissements créés par les Français. Bône, au contraire, dominait la plaine.

La mauvaise fortune de Beaufort voulut que son avis l’emportât et que Louis XIV adoptât son projet d’établissement à Gigery.

Si la hardiesse, la loyauté et un courage à toute épreuve avaient suffi pour faire un bon conseiller, Beaufort eût mérité la confiance de Louis XIV; mais, nous nous étonnons que le grand Roi n’ait pas mieux connu son cousin, ou que quelques frondeurs, si nombreux encore à. sa cour, ne lui aient pas rappelé ce couplet, qui datait de la Régence :

Beaufort, de grande renommée,

Qui sut ravitailler Paris,

Doit toujours tirer son épée,

Sans jamais dire son avis.

La rime n’est pas riche, mais le conseil eût encore été bon à suivre en 1664. Beaufort sortait d’une longue disgrâce. Le cardinal, jusqu’à sa mort, l’avait empêché de servir.

Dès le mois de décembre qui suivit, le Roi autorisa le futur amiral de France à faire ses débuts comme marin, à l’âge de 45 ans. Son père, César, écrivait, le 7 décembre, au commandeur de Neuchèze, vice-amiral du Ponant :

« Mon fils, de Beaufort, ayant témoigné au Roi le désir qu’il avait de s’embarquer sur les vaisseaux que vous  devez commander, et commencer par là à faire l’apprentissage de  sa charge, Sa Majesté a eu la bonté de lui en donner la permission  aussi agréablement qu’il se peut, suivant quoi, se disposant à  partir d’ici dans six ou sept jours pour vous aller joindre, je suis  bien aise de vous en donner avis …»

A Paris, ce 7 décembre 1661.

 

A partir de ce jour Beaufort servit constamment à la mer, avec beaucoup d’application. En 1663, le roi lui confia une escadre, qu’il conduisit dans le Levant, où il captura plusieurs corsaires d’Alger. Ces succès affir-maient une fois de plus son courage et prouvaient son désir de bien faire, mais n’indiquaient pas qu’il fût devenu l’homme de sens dont Louis XIV avait besoin.

Au printemps de 1664, les préparatifs de l’expédition furent vive-ment poussés par le port de Toulon; à la fin de juin, l’escadre était prête à appareiller et un corps de troupes de plus de 7,000 hommes était réuni.

Louis XIV par une commission spéciale remit à Beaufort le commandement en chef de l’expédition (22 juin 1664).

Sous lui le commandeur Paul , le plus ancien chef d’escadre, avait la direction effective de la:flotte, et le comte de Gadagne, lieute-nant général, commandait le corps de débarquement. Les deux lieu-tenants de Beaufort étaient, par leur capacité, bien supérieurs à leur chef. Ils appartenaient tous deux à la Provence.

Le commandeur Paul était né à Marseille. Il débuta comme mousse au service de l’ordre de Malte. Ses exploits dans les mers du Levant tiennent de la légende, et sa réputation devint telle que Richelieu le demanda au grand maître, lorsqu’il voulut relever la marine fran-çaise, en 1638. Il est de la famille des grands marins de la France. Il fut cligne de commander à Duquesne et il peut être mis dans Phis-Loire à côté de Tourville et de Jean Bart. Si la première partie de sa vie tient du roman, la seconde appartient à notre histoire, et les archives du Ministère de la Marine conservent les titres de cet héroïque Marseillais à la reconnaissance de la France.

Son acte de naissance n’indique pas son père, et le nom de sa mère est resté en blanc. Les noms de ses parrain et marraine sont ceux de gens du peuple et il entra dans la vie avec ce seul nom de Paul. La tradition prétend que sa mère, blanchisseuse au château d’If, venant à terre pour accoucher, lui donna le jour en mer pendant le trajet. La même tradition lui donne pour père le gouverneur du château d’If, Paul de Fortia.

________

 Quoi qu’il en soit, le petit mousse, grâce à son énergie et à son intelligence, devint chevalier de grâce, puis commandeur de Malte, capitaine de vaisseau en 1640, chef d’escadre le 30 décembre 1649. lieutenant général des armées navales 1664: Duquesne lui-même, le vainqueur de Ruyter, ne fut jamais que lieutenant général, après avoir été chef d’escadre . Le commandeur Paul, en 1664, était le plus ancien chef d’escadre de la marine du Levant. C’était un homme de petite taille, qui parlait fort doucement; ses moustaches épaisses et son toupet taillés de façon à former ensemble une croix de Malte, lui donnaient une figure étrange. Sous une apparence frêle et sous un extérieur pacifique, il avait une volonté de fer et un courage à toute épreuve. Il était fort exigeant vis-à-vis des officiers placés sous ses ordres.

Voici l’extrait d’une de ses lettres à Colbert, qui peint mieux ce vaillant officier que tous les récits légendaires que la tradition rapporte de ses com- bats contre les Turcs :

J’ai déjà dit par avance à tous messieurs les capitaines qui sont « ici que Sa Majesté m’avait fait l’honneur de m’ordonner de leur « dire de sa part que, lorsqu’ils rencontreront des navires turcs, « qu’ils eussent de les aborder hardiment et de les vaincre ou de • mourir et que s’ils manquaient de faire leur devoir pour la gloire « des armes du Roi, que Sa Majesté leur ferait couper le col. « J’ai ajouté à cela que si par hasard il se trouvait quelqu’un des « navires du Roi seul et qu’il fût attaqué _de cinq ou six navires turcs, « ne pouvant éviter à force de voiles ou autrement leur abordage, « de se défendre jusqu’à l’extrémité et lorsqu’il se verrait perdu sans « ressource, qu’il ne faut pas demander quartier, mais qu’il faut « mettre le feu aux poudres pour brûler le navire du Roi avec tous

 

à suivre……

___________

Source : Revue maritime et coloniale,  année 1886, P.188

 

Laisser un commentaire