Préparatifs de l’expédition française contre Djidjeli (1664).
– Le duc de Beaufort en reçoit le commandement.
– L’expédition s’arrête devant Bougie, puis s’empare de Djidjelli.
– Inaction des Français. Arrivée de l’armée turque.
– Les Turcs attaquent les français.
– Résistance des Français.
– Le duc de Beaufort se retire.
– Abandon de Djidjeli par l’année française.
– Désastre de l’expédition.
PRÉPARATIFS DE L’EXPÉDITION FRANÇAISE CONTRE DJIDJELI.
LE DUC DE BEAUFORT EN REÇOIT LE COMMANDEMENT.— Nous avons vu qu’a la suite des pertes éprouvées par le commerce et des réclamations présentées au roi, le gouvernement de Louis XIV, las de voir les traités, conclus à grand’peine, toujours violés, avait résolu d’occuper sur le littoral berbère un point permettant de surveiller les corsaires et d’entraver leurs entreprises.
Le chevalier de Clerville proposa. dans son rap-port à Colbert, la baie de Stora, niais le conseil royal, après avoir hésité entre ce point, Bône et Bougie, se prononça pour Djidjeli, que Beaufort parait avoir recommandé. Ce choix, à tout prendre, était le plus mauvais qu’on pût faire et il ne s’explique que par la position centrale de Djidjeli et parce que les rapports présentaient son havre comme excellent. De plus, il n’avait pas de garnison turque et on espérait obtenir l’appui des populations indigènes. Inutile d’ajouter que ces raisons étaient spécieuses. Cette fois encore, on écarta l’avis de ceux qui avaient étudié la question sur les lieux mêmes et connaissaient bien le pays.
L’expédition de Djidjeli décidée, on s’occupa activement de la préparer. Le duc de Beaufort, l’ancien frondeur qu’on avait sur-nommé k «roi des Halles», devenu grand amiral de France à la mort de son père, en 1663, devait naturellement en être chargé. Nous avons VU, du reste, qu’il avait fait, dans ces parages, une croisière contre les Barbaresques ; mais le roi, qui n’accordait aux anciens frondeurs qu’une confiance médiocre, nomma le comte de Gadagne chef de l’armée expéditionnaire ; triste expédient, car ce partage de l’autorité et de la responsabilité devait créer des conflits inévitables et peser lourdement sur l’entreprise.
Dans le mois de mars 1664, l’armée et la flotte se concentrèrent à Toulon, où Beaufort, après une nouvelle croisière, vint la rejoindre. L’armée expéditionnaire se composait de :
-6 compagnies des Gardes et 20 compagnies des régime. de Picardie, Navarre, Normandie et Royal, ensemble environ 4,850 hommes.
Un bataillon de Malte avec 120 chevaliers.
Un bataillon anglais.
Un bataillon hollandais.
Et quelques centaines de volontaires.
Ainsi l’effectif des troupes atteignait près de 8,000 hommes, plus les compagnies des vaisseaux, pouvant donner 800 hommes. Le commandement en chef appartenait au comte de Gadaigne, lieutenant général, assisté de M. de b Guillotière et du comte de Vivonne comme maréchaux de camp. L’artillerie était commandée par M. de Bétancourt et le génie par le chevalier de Clerville.
La flotte se composait de 15 vaisseaux et frégates, 19 galè-res dont 7 de Malte, et de navires de transport ou de guerre, moins forts, en total 63 voiles, sous les ordres du commandeur Paul et de Duquesne.
Le duc de Beaufort avait, en quelque sorte, le commandement suprême de cette expédition, de laquelle on pouvait; à bon droit, attendre d’excellents résultats. Mais, nous l’avons dit, il n’avait pas la confiance absolue du roi, ce qui est toujours une mauvaise condition pour diriger une entreprise de ce genre ; de plus, le but était mal choisi.
Le chevalier de Clerville, intéressé dans les affaires de Marseille et, très probablement; dans celles du Bastion, dont il avait l’espoir de devenir directeur, voulait entraîner l’expédition vers l’est. Dans ce but il avait indiqué Stora, port de Constantine où tous les produits de la région auraient facilement pu être attirés vers les comptoirs existant déjà, e où l’on se trouvait près de Bône. Son influence allait s’exercer d’une manière occulte ou apparente et augmenter la désunion, alors qu’il aurait fallu voir tous les efforts converger vers le même but.
L’EXPÉDITION S’ARRÊTE DEVANT BOUGIE, PUIS S’EMPARE DE DJIDJELI. INACTION DES FRANÇAIS. ARIVÉE DE L’ARMÉE TURQUE
— La flotte quitta Toulon le 2 juillet e fit voile, on ne sait pourquoi, vers les Baléares, où les galères de Malte la rejoignirent. De là, on partit enfin vers l’Afrique et, le 21 juillet, les navires entraient dans le golfe de Bougie et mouillaient à une petite portée de canon des batteries. La ville semblait déserte ou plutôt on n’y voyait que des gens s’empressant de charger des bêtes de somme et de prendre la fuite ; l’on sut plus tard que la garnison turque, abandonnée depuis longtemps, avait été en partie détruite par la peste.
L’idée de s’emparer de Bougie vint naturellement se présenter aux chefs de l’expédition et il semble, en effet, qu’au profit de la surprise causée par cette agression on eût eu des chances sérieuses de réussite ; mais cela ne faisait pas l’affaire du chevalier de Clerville et il insista énergiquement pour qu’on abandonnât celte idée en représentant que la question avait été discutée en conseil, que l’occupation de Bougie avait été écartée et que l’on ne pouvait désobéir au roi. Le duc finit par se ranger à cet avis, que M. de Gadagne combattit de toutes ses forces.
On remit à la voile et, le lendemain 22, au soir, la flotte était ancrée dans le golfe de Djidjeli. Le 23, au matin, le débarquement s’opéra sur la petite pointe où existe maintenant le fort Duquesne. Les Kabyles, peu nombreux, qui se tenaient sur le rivage, avaient été écartés et firent tenus à distance par l’artillerie des vaisseaux. Les troupes françaises s’emparèrent alors de la ville, construits sur la presqu’île, à la suite d’un combat assez vif, et l’armée prit position dans la plaine occupée actuellement par la nouvelle ville et sur les hauteurs. Ce succès obtenu à si bon compte donna du courage et de l’espoir à tous; mais le résultat n’avait pas de sanction, car les Kabyles continuaient à tirailler aux avant-postes et à inquiéter les Français de jour et de nuit; en vain essaya-t-on de traiter avec de prétendus chefs; ces trêves duraient quelques jours et étaient rom-pues par de nouvelles trahisons et des vols de plus en plus audacieux.
Pendant ce temps, une armée turque, pourvue d’une bonne artillerie, quittait Alger et marchait par terre sur Djidjeli. Un marabout du nom de Sidi-Hammoud, avec lequel les Français auraient bien dû s’entendre, usa de son influence pour vaincre l’obstination des Kabyles, qui refusaient de laisser passer l’armée turque. Bien-tôt on la vit paraître sur les hauteurs, puis prendre position et préparer ses batteries contre les médiocres retranchements des chrétiens.
LES TURCS ATTAQUENT DJIDJEL, RÉSISTANCE DES FRANÇAIS. LE DUC DE BEAUFORT SE RETIRE.
— Le comte de Gadagne, toujours en désaccord avec k duc, s’était retiré sous sa tente et, en résumé, personne ne faisait rien, car dans l’armée chacun prenait parti pour l’un ou pour l’autre et les cabales achevaient l’oeuvre de division commencée à Toulon et augmentée à Bougie. Cependant, lorsque l’ennemi fut là, on oublia vite ces froissements inévitables dans l’oisiveté des camps, pour courir au combat, et chacun fit bravement son devoir.
Les Turcs, ayant tenté l’assaut contre le fortin de l’ouest de la ligne de défense, furent repoussés avec une perte de 500 hommes tués et 200 blessés. L’affaire avait débuté par la mort de M. de Cadillan, capitaine au régiment de Normandie, tué à un créneau. Son lieutenant Le Roux prit alors le commandement et défendit le poste avec un courage héroïque. Néanmoins Gadagne et Beaufort avaient dû s’y porter en personne (4 et 5 octobre).
Les pertes des Français étaient faibles, mais portaient particulièrement sur les officiers. Cet échec fut sensible aux Turcs, d’autant plus que les Kabyles les abandonnèrent à eux-mêmes, non sans se moquer d’eux, pour aller faire leurs semailles.
Le 22 octobre, arrivèrent de France deux navires sous le commandement de M. de Martel; ils débarquèrent quelques renforts. M. de Castellan, major du régiment de Provence, s’y trouvait aussi, avec mission du roi. Il était porteur d’un ordre bien malencontreux enjoignant au duc de Beaufort de reprendre la mer, pour continuer la chasse aux corsaires, en laissant le commandement de Djidjeli à Gadagne. Or, les Turcs venaient de recevoir de la grosse artillerie et le duc qui, peut -être, en était instruit, proposa une attaque générale du camp turc, en profitant des renforts arrivés, excellent conseil que Gadagne repoussa, sous le prétexte que ses instructions lui défendaient de sortir de ses lignes.
Beaufort se prépara donc à partir et mit à la voile, au grand désespoir de l’armée, qui vit s’éloigner avec lui tout son espoir.
Trois jours après son départ, il fit annoncer à Djidjeli qu’il venait de prendre un navire chargé d’armes devant Bougie, et qu’il était certain que les Turcs avaient reçu leur artillerie de siège, ce qui, par parenthèse, semble démontrer qu’il ignorait ce fait, que Gadagne lui reprocha d’avoir tenu caché.
ABANDON DE DJIDJELI PAR L’ARMÉE FRANÇAISE. DESASTRE DE L’EXPEDITION.
— Le 29 octobre, les Turcs démasquèrent leurs batteries A, grâce à leurs pièces de 48 et de 36, rendirent en peu de temps la position des Français intenable.
Le chevalier de Clerville. qui avait si légèrement rempli son devoir d’ingénieur, sous le prétexte que les Turcs manquaient de canons de siège, fut le premier à donner l’exemple du découragement, qui gagna bientôt tout le monde. Gadagne, au contraire, déployait un courage et une énergie que rien ne pouvait abattre et repoussait toute idée de retraite. Cependant. ses officiers étaient tous d’avis qu’il fallait profiler du beau temps et des navires de M. de Martel pour se retirer, afin d’éviter un plus grand désastre, car les soldats ne parlaient de rien moins que de se rendre ou de se faire Turcs.
Le général préférait démissionner que de donner les ordres nécessaires, il finit néanmoins par se tondre à l’évidence et, le 31, l’évacuation commença par le transport des malades et blessés, au nombre de 1,200.
Ce devoir rempli, les corps de troupe avaient ordre de se replier successivement, mais l’opération fut longue, et l’on sait combien il est difficile de retenir dans ces conditions des hommes démoralisés, d’autant plus que, dans les vivres qu’on était forcé d’abandonner, un certain nombre d’entre eux trouvèrent de quoi s’enivrer.
Bientôt la retraite se changea en déroute, malgré le courage et les efforts des officiers ; puis, les gens en proie à une invincible terreur coururent vers la mer et se précipitèrent sur les barques déjà pleines. Pendant ce temps, Turcs et Kabyles, après avoir massacré les ivrognes et les retardataires, avaient atteint le rivage et essayaient encore de faire des victimes ou des prisonniers.
Gadagne, dont la conduite fut au-dessus de tout éloge, s’embarqua le dentier. Il eut la douleur d’abandonner, sur le rivage, 30 pièces de canon en fonte, 15 en fer et plus de 50 mortiers. On manquait, en effet, de palans pour les charger et le commandant de l’artillerie ne parait pas avoir fait beaucoup d’efforts pour y suppléer. En outre de tout ce matériel, l’armée expéditionnaire avait perdu prés de 2,000 hommes.
Mais un nouveau malheur l’attendait un des plus grands vaisseaux (La Lune) sombra à pic en face des îles d’Hyères, entraînant dans les flots environ 1,200 hommes du régiment de Picardie, des volontaires, des officiers qu’il portait. La responsabilité de ce grave échec doit retomber non seulement sur ceux qui ont si mal conduit l’expédition et subi l’influence de Clerville et d’autres, mais aussi sur le gouvernement qui créa à plaisir une dualité de commandement si fâcheuse, et qui, sans connaître l’état exact des choses, prescrivit au duc de Beaufort de partir en croisière.
C’est donc injustement, selon nous, que Gadagne a voulu mettre tous les torts sur ce dernier; car il en a eu lui-même de trop grands et c’est à peine si son courage et sa droiture permettent de les oublier(1).
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I). Rapport au roi de M. de Caste.» (ms. Hist, e 241). – De Gram-mont. Hist d’Alger, p. 213 et suiv. — Féraud. Hist. de Gigelli (Soc. arche.. de Constantine, 1870, p. 129 et suiv.). — E. Watbled, Expédition che duc de Beaufort contre Djidjelli (Revue afric., n° 99, p. 715 et suiv.). — Pelisson, Hist. de L011iS Berbrugger. Époques militaires de la Grande Kabylie, p. 112 et suiv.
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Source : HISTOIRE DE L’AFRIQUE SEPTENTRIONALE (Berberie)
PAR Ernest MERCIER, T.3, 1868.
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