Hosni Kitouni : «Les attaques du 20 Août 1955 ont radicalisé la guerre»

Hosni KitouniBien au fait de certaines facettes peu connues de l’histoire de la Révolution algérienne, Hosni Kitouni, fils de l’officier de l’ALN, Abdelmalek Kitouni tombé au champ d’honneur, revient dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, sur les évènements ayant motivé les chefs du Nord constantinois à entreprendre les offensives du 20 août 1955, offensives qui marqueront définitivement une rupture avec la révolution soft.

 Le Jeune Indépendant : L’offensive du 20 août 1955 était-elle une démonstration de force du FLN quant à sa capacité de mener une guérilla ?

 Hosni Kitouni : Il faut rappeler brièvement la situation des insurgés novembristes en cet été 1955. Il y a à peine 9 mois que l’insurrection a été déclenchée dans des circonstances politiquement défavorables au regard des divisions qui minent le mouvement national. L’OS, (l’organisation spéciale) qui devait préparer l’insurrection en rassemblant les armes et en formant des militants, a été laminé par la répression. L’initiative des 22 apparaît dès lors comme une audace extraordinaire. Rien absolument rien ne présumait de sa réussite compte tenu de nombre d’éléments défavorables au sein comme en dehors du mouvement national.

À ces aspects, il faut en ajouter un autre, l’insurrection n’a pas connu partout la même intensité et sitôt les premiers attentats commis le 1er novembre, le FLN-ALN se trouvait isolé aussi bien au sein des masses populaires qu’au niveau organisationnel. Les liaisons inter régions étaient coupées. Les Français ont concentré leur répression sur les Aurès, et Bachir Chihani, l’intérimaire de Mustapha BenBoulaid qui venait d’être arrêté, « demande à Zighoud de mener des actions pour le soulager du poids de l’ennemi. Ce sont donc toutes ces raisons qui ont motivé la stratégie des chefs du Nord Constantinois.  Ce ne fut pas une démonstration de force, mais une stratégie de rupture révolutionnaire.

L’offensive a-t-elle consacré la rupture entre les moudjahidines et le colonisateur seulement ou plus encore entre Algériens et Français ?

 Dans ses mémoires Lakhdar Bentobbal rappelle quelques éléments ayant déterminé l’offensive du 20 août sur le plan international et national. Dans l’esprit de ses initiateurs, il fallait passer le cap d’une guérilla au coup par coup, à une véritable insurrection nationale qui partout mobilise le peuple algérien et isole les hésitants et les ennemis. En outre, à l’égard de la France, il fallait faire la démonstration qu’il ne s’agissait pas d’une guerre d’escarmouche menée par des groupes isolés, mais une véritable insurrection nationale portée par le peuple.

On a tendance en parlant des évènements du 20 Août de passer sous silence leur aspect stratégique et politique, pour les réduire à une simple opération armée. Bentobbal le souligne assez bien : « Quels que devaient être les pertes et le prix à payer, il fallait parvenir à une radicalisation de la guerre pour couper court à tous ceux qui voulaient s’entendre avec la France ». Cet objectif stratégique va effectivement être atteint.

 Zighoud Youcef, un du groupe des 22 historiques, a mené l’offensive, mais qui étaient les véritables architectes ?

 Je crois que l’histoire n’a pas totalement rendu justice à Zighoud Youcef. Certes il a été héroïsé, statufié, comme tant d’autres dirigeants de la révolution, mais la question n’est pas là : a-t-on vraiment pris la mesure de sa pensée, de son action militante et de son rôle dans la transformation du mouvement révolutionnaire algérien ? Je ne le crois pas, on continue à le présenter comme un chef militaire dénué de toute vision stratégique.

J’ai entendu un jour, un moudjahid qui l’a fréquenté, le décrire comme un authentique penseur, un organisateur hors pair doté d’une vision allant au-delà de son rôle dans l’action armée du Nord Constantinois. Le congrès de la Soummam, sans le 20 août 1955, aurait été impossible ou pour le moins n’aurait jamais eu cet impact. Zighoud croyait en la révolution, pour l’indépendance de l’Algérie, était inéluctable, sa hantise c’était de voir la lutte du peuple accaparée « par des gens qui n’ont rien de commun avec lui».

C’est ce qui va malheureusement arriver quelques années plus tard.  Quand on étudie cette période, il faut sans cesse revenir à l’origine des processus et non partir de leur aboutissement. Dans cette perspective, l’action du 20 août a fait la démonstration que la lutte armée était portée par le peuple et par le peuple seul.

 La répression coloniale disproportionnée après les évènements aurait fait 10 000 morts et disparus. Ce chiffre est-il démesuré ?

 On a tendance généralement dans notre manière d’appréhender l’histoire de focaliser le débat sur la question de la violence coloniale, et de ne retenir que le nombre de ses victimes, comme si l’ignominie d’une répression était exclusivement attachée à l’ampleur de ses destructions humaines. Cette vision nous fait oublier les autres aspects de la violence coloniale, qui sans être visibles ou immédiatement percevables n’en sont pas moins destructeurs et ignobles.  Dès lors que vous donnez un chiffre, l’ennemi vous demande de le documenter et vous oppose un autre lui aussi tout aussi contestable.

Il faut rappeler à cet égard que la répression coloniale depuis 1830 a toujours massacré en masse pour anéantir humainement les mouvements insurrectionnels et surtout pour terroriser les populations et prévenir d’autres soulèvements.

Pour revenir à votre chiffre, sa symbolique importe sans doute bien plus que sa réalité statistique, car ce que les Algériens retiendront de la répression d’août 1955, c’est l’ignoble détermination du peuplement colonial à ne rien céder de ses privilèges et de son hégémonie. Une rivière de sang allait dorénavant couper les deux camps et rien ne viendra les réconcilier.

 

Le Jeune Indépendant

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