La répartition des dolmens en Algérie et Tunisie, nous l’avons vu, confirme les données de la carte des inscriptions. Comme les inscriptions libyques, qui se pressent en Algérie orientale, les dolmens sont concentrés dans des zones privilégiées situées au voisinage de Constantine et en Tunisie centrale. Pour le phénomène mégalithique, comme pour d’autres faits culturel que nous avons cartographiés, le cours de l’Oued el-Kébir / Oued Enja agit donc comme une frontière plus ou moins précise mais d’une durée remarquable.
Je crois fermement que la solidité de cette frontière à travers les siècles est liée à la permanence de tribus montagnardes puissantes comme les Bavares et dans la même région des Babors, celle des Ketama, dont on retrouve sporadiquement la mention jusqu’à l’époque fatimite.
La plus ancienne citation est peut-être une inscription bilingue latino-punique de Guelaat bou-Sba, dans laquelle Levi della Vida croit pouvoir lire l’ethnique Ketam. Ptolémée situe les Koidamousii sur la rive gauche de l’Amsaga (Oued el-Kébir), la Notice de 484 cite, en Maurétanie Sitifienne, un évêché Cedamusensis.
Dans la même région, au Col de Fdoulès, une inscription chrétienne mentionne un Rex gentis Ucutuma(niorum) qui semble bien appartenir à l’époque byzantine.
Le fait que le chef de la tribu ait pris le titre de roi montre que le groupe prenait de l’importance et commençait peut-être à fédérer sous son autorité les tribus voisines.
Cet accroissement de puissance que nous devinons vers le VIe siècle chez les Ucutumani précède le rôle important que, sous le nom de Ketama (ou Kotama), ils jouèrent au IXe siècle sous la conduite d’Abou Abd-Allah.
Dans leur repaire des Babors, dans cette bourgade d’Ikjan devenue forteresse du chiisme, Abou Abd-Allah crée une armée fanatique qui s’empare de Mila en 902, puis de Sétif (904), Tobna et Bélezma (905). Dans la même année, en 909, les troupes kétama, toujours sous la conduite d’Abou Abd-Allah, emportent Kairouan, Reqqada, la capitale des Aghlabites, Tahert capitale des Kharedjites, et enfin Sidjilmassa d’où ils ramènent le Mahdi fatimite, Obeïd Allah.
De tels combats, suivis après l’exécution d’Abou Abd-Allah d’une sanglante révolte en 911, puis de plusieurs expéditions au Maroc, en Sicile et en Egypte, jusqu’à la conquête définitive du pays sous le calife el Moizz (969), expliquent l’épuisement puis l’extinction de cette tribu sanhadja, et du même coup l’arabisation de la Kabylie orientale.
Nous pensons aussi que la disparition des Ketama et l’arabisation de leur pays firent sauter la vieille frontière historique de l’oued el-Kébir/oued Enjas. Aucune donnée géographique perceptible ne permet d’expliquer cette frontière dont il faut rechercher les prémices dans la Préhistoire. Cette limite traverse deux régions naturelles contrastées comme si les données culturelles avaient plus d’importance que les conditions géographiques.
Inversement la ligne Cherchel-Biskra qui s’impose aux géographes pour distinguer une Algérie orientale d’une Algérie occidentale, semble n’avoir jamais joué le moindre rôle dans l’Histoire pourtant si tourmentée de cette partie du Maghreb.
Gabriel Camps
Source : https://books.openedition.org/psorbonne/22643#ftn20